On a parlé censure à Waremme

“La censure, ça fait un peu grin­cer des dents.” Sur ces mots, l'animateur lance la confé­rence mati­nale à l’Espace Laïcité de Waremme, Censure : reli­quat du passé ou pratique d'aujourd'hui ? Consa­crée avant tout à la censure audio­vi­suelle, au cinéma et à la télé­vi­sion, elle a pour inter­ve­nants Alain Hertay, profes­seur à la Haute Ecole de la Province de Liège, licen­cié en Arts et Sciences de la Commu­ni­ca­tion et Bernardo Herman, direc­teur du Conseil Supé­rieur de l’Audiovisuel, organe en charge de la régu­la­tion de l’audiovisuel de la Fédé­ra­tion Wallo­nie Bruxelles.

“La censure audiovisuelle naît avec le cinéma”

Alain Hertay ouvre la confé­rence. Avec passion et légè­reté, il expose un court histo­rique de la censure ciné­ma­to­gra­phique aux États-Unis, en parti­cu­lier le fameux code Hays. Les excès des années 20 et 30, tant à l’écran qu’en coulisses, donnent à Holly­wood l’image d’un lieu de perdi­tion où la morale n’a pas cours. “Ce n’est pas le cinéma de papa”, précise le confé­ren­cier : des films comme Scar­faceHell’s Angels ou Extase poussent les repré­sen­ta­tions de la violence et du sexe très loin pour l’époque.

Certains groupes, en parti­cu­lier la Legion of Decency mise sur pied par l’Église catho­lique romaine, commencent à faire pres­sion sur toute la chaîne de produc­tion : studios, acteurs, produc­teurs, distri­bu­teurs, même le public. William Hays, séna­teur améri­cain et soutenu par cette Legion of Decency, établit alors son code : une liste précise d’interdits et de consignes à suivre pour qu’un film soit consi­déré décent, et donc distri­bué en salles. Les studios, de peur que l’état s’en mêle si la situa­tion s’emballe, jouent le jeu.

 

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Du passé au présent : M.Hertay trace ensuite un paral­lèle entre la Legion of Decency des années 30 et l’organisation ultra­con­cer­va­trice Promou­voir en France. Celle-ci utilise aujourd’hui des méthodes analogues vers un même but : “noyau­ter le cinéma et mena­cer le finan­ce­ment et la distri­bu­tion de films tendan­cieux”. Mené par l’avocat André Bonnet, Promou­voir a réussi à empê­cher la diffu­sion en salle de films comme Anti­christ de Lars von Trier, La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche ou Love de Gaspard Noé.

“La censure du code Hays ou de Promou­voir crée une chape de plomb” termine Alain Hertay. “C’est un système qui casse la créa­ti­vité dès le départ et qui pousse à l’autocensure.” Les produc­teurs deviennent frileux de peur de ne pas pouvoir distri­buer leurs films.”C’est aussi consi­dé­rer le public comme inca­pable de réflé­chir les films qu’il voit. C’est infan­ti­li­sant.” L’intervention se termine avec l’humour d’un extrait de Tirez sur le pianiste où un tout jeune Azna­vour prend soin de cacher les seins de sa parte­naire avec son drap de lit en lui expli­quant : “au cinéma, c’est comme ça et pas autrement.”

“S’agit-il de censurer ou de protéger ?”

Sur cette ques­tion commence l’intervention de Bernardo Herman. Il ne tourne pas autour du pot : “Au CSA, nous sommes des censeurs”. Mais si la censure a une conno­ta­tion néga­tive aujourd’hui — elle fait penser aux jour­na­listes en prison, aux purges stali­niennes — elle a une utilité sociale, selon M.Herman. “On s’est demandé si les images avaient un impact sur le public. Et il se trouve que la réponse est oui, surtout chez les plus jeunes”. Psycho­lo­gi­que­ment, nous nous créons notre idée de la norme selon nos expé­riences, et les produc­tions audio­vi­suelles font partie de ces expé­riences. Et en réac­tion à cette norme, nous construi­sons nos valeurs.

“Existe-t-il des valeurs à proté­ger dans notre société ?” enchaîne-t-il, peu avare en ques­tions diffi­ciles. Et la réponse, en Belgique, est encore oui. Selon la loi, un programme audio­vi­suel ne devrait :

  • porter atteinte à la dignité humaine ou à l’égalité entre femmes et hommes ;
  • inci­ter à la discri­mi­na­tion, la haine ou la violence sur base du sexe, de l’ethnie, de la natio­na­lité, de la reli­gion, etc. ;
  • nier, mini­mi­ser ou justi­fier le régime nazi et toute forme de génocide ;
  • nuire grave­ment à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs.

 

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Le CSA bloque-t-il pour autant la produc­tion de tel ou tel maté­riel audio­vi­suel ? Non : au contraire d’un orga­nisme comme le MPAA aux États-Unis qui visionne les films avant leur sortie pour les clas­ser voire les inter­dire, le CSA belge agit a poste­riori, sur bases de plaintes, “et dans la plupart des cas on parle de signa­lé­tique ou d’heure de diffu­sion, pas d’interdiction”. Il ne s’agit pas, pour M.Herman, d’empêcher les oeuvres d’apparaître : il s’agit de leur trou­ver une place idoine dans le paysage audio­vi­suel, selon la volonté et les inté­rêts de la popu­la­tion. “Si vous ne cadrez pas,” précise M.Herman, “cela part en sucette.” C’est égale­ment pour­quoi le CSA suit avant tout le droit sur les ques­tions de valeurs, de nuisances ou de discriminations.

Bernardo Herman termine son inter­ven­tion en expo­sant quelques cas concrets, comme les propos d'Alain Simons sur les Rom à l’antenne de la RTBF, qui avait écopé d’une sanc­tion. “Parfois, commu­ni­quer sur une diffu­sion est une sanc­tion en elle-même” pour­suit M.Herman, citant le cas d’une publi­cité radio pour la chaîne de maga­sin Lidl. Après plusieurs plaintes dépo­sées, la simple annonce d’une ouver­ture de dossier a fait recu­ler les respon­sables, et la publi­cité a disparu spon­ta­né­ment des ondes.

“La classification X, n’est-ce pas aussi une façon de faire sa publicité ?”

La mati­née se termine sur un échange avec l’audience. Le public est curieux et exigeant : les ques­tions portent autant sur les nuances du fonc­tion­ne­ment du CSA que sur les coulisses du monde du cinéma. Après les dernières ques­tions, une salve d’applaudissements remer­cie les deux inter­ve­nants. Une salle comble, des inter­ve­nants enri­chis­sants, des échanges nuan­cés : Censure : reli­quat du passé ou pratique d'aujourd'hui ? à Waremme est une réus­site de plus.

 

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L'exposition Censure & Nous est acces­sible jusqu'au 16 juin à l'Espace Laïcité de Waremme. Tous les rensei­gne­ments sur la fiche de l'évènement. 

Publié le 2/06/17