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Sam Touzani,
artiste de théâtre, écrivain et citoyen du monde
Éduquer à la laïcité pour apprendre le vivre ensemble
Sam Touzani est un citoyen du monde, artiste de théâtre et écrivain. Il a écrit avec Nadia Geerts Je pense donc je dis ?, un essai à destination des jeunes sur l’exercice de la liberté d’expression, aux éditions Renaissance du livre.
Salut & Fraternité : Vous avez écrit un livre à destination des jeunes avec Nadia Geerts, Je pense donc je dis. Pourquoi avoir choisi ce sujet, ce public et Nadia Geerts comme collaboratrice ?
Sam Touzani : C’était d’abord une manière d’exorciser. Charlie Hebdo représentait la liberté d’expression dans ce qu’il y a de plus irrévérencieux. Ensuite, je connaissais l’équipe. Nous avions tourné ensemble le dernier reportage sur leur journal avant l’attentat. Ensuite ça a été les réactions. C’était beau de voir 4 millions de Français manifester, dire non à la violence et oui à la parole. Mais je me suis vite rendu compte qu’il y avait d’énormes amalgames. Il fallait faire quelque chose d’utilité publique, relancer la discussion sur la liberté d’expression. Et qui mieux que Nadia Geerts – philosophe, progressiste, féministe – pour m’accompagner dans cette aventure ? À nous deux, nous avons montré des photos de la manifestation à une vingtaine de jeunes, de 8 à 17 ans, chacune accompagnée par un court texte de nos mains, pour faire le point, poser la situation et lancer la discussion. Les jeunes ont réagi, nous leur avons répondu, et c’est comme ça qu’on a construit le livre.
S&F : Comment réagit ce jeune public aux affaires de blasphème ?
S.T. : Il faut d’abord voir d’où viennent ces histoires. Ces discours ne tombent pas du ciel – enfin si, justement ! Chez les jeunes qui pratiquent la religion musulmane, ils viennent de la bouche des politiques du monde arabe. Ces dirigeants se livrent à une sorte de course à la légitimité : moi, je suis plus religieux que toi, ma vision du Coran est plus légaliste que la tienne, alors je suis plus légitime que toi comme dirigeant. Le même problème existe avec les partisans de « monseigneur » Léonard ! Ils redoublent, ils se font plus catholiques que le Pape pour défendre leur identité, pour se valoriser. Et derrière ces discours, il y a cette volonté de tous les extrémistes religieux de faire front contre la laïcité, de casser les barrières entre la politique et la religion.
Il fallait faire quelque chose d’utilité publique, relancer la discussion sur la liberté d’expression. Et qui mieux que Nadia Geerts – philosophe, progressiste, féministe – pour m’accompagner dans cette aventure ?
S&F : Et votre combat pour la laïcité, vous le retrouvez chez eux ?
S.T. : En Belgique, le concept de laïcité est un peu flou pour eux. Mais j’ai parfois l’impression qu’il est flou pour certains laïques aussi ! (rires) Ça ne veut pas dire que les jeunes ne s’impliquent pas ou ne partagent pas ses valeurs : ces ados ne sont pas des docteurs « es laïcité », mais ils s’engagent pour le vivre ensemble, la solidarité, l’égalité, individuellement ou dans des associations. Je suis plutôt confiant.
C’est plus compliqué quand on touche aux questions d’identité. Pour beaucoup de jeunes, « laïque » veut dire « athée ». À ce niveau, il faut de la pédagogie, marteler que la laïcité c’est un garant du fait religieux. Expliquer que dans un état laïque, chacun est justement libre de pratiquer n’importe quelle religion – tant que ses pratiques ne sont pas illégales.
Pour ça il faut du débat d’idées, de la nuance. Et pour en débattre, il faut qu’on soit tous sur un pied d’égalité. Si vous êtes mon égal, on peut parler de nos différences. Mais un dialogue honnête n’est possible qu’entre égaux. S’il y a une emprise, une condescendance de l’un envers l’autre, il n’y a pas de dialogue, juste un monologue.
(…) le concept de laïcité est un peu flou pour eux. (…) Ça ne veut pas dire que les jeunes ne s’impliquent pas ou ne partagent pas ses valeurs : ces ados ne sont pas des docteurs « es laïcité », mais ils s’engagent pour le vivre ensemble, la solidarité, l’égalité, individuellement ou dans des associations. Je suis plutôt confiant.
S&F : Jusqu’où vous sentez-vous libre de critiquer une religion qui n’est pas la vôtre ?
S.T. : Ce n’est pas moi qui mets les limites : c’est la loi. Et la loi dit clairement que, tant que vous n’incitez pas à la haine, que vous n’insultez pas gratuitement quelqu’un, que vous ne colportez pas des mensonges dommageables ou ne poussez pas au crime, vous pouvez tout dire. C’est ça, ma limite. La loi sert de cadre à tous les citoyens dans un état de droit.
S&F : Sans le droit de blasphémer, selon vous, qu’est-ce qu’on perd ?
S.T. : Le droit de s’exprimer. On ne parle pas ici d’injure, ni d’incitation à la haine ou au crime : on parle juste du blasphème, qui ne devrait concerner que les religieux ! Inscrire une peine au blasphème, permettre de le punir légalement, c’est une régression terrible ! C’est empêcher la critique des pouvoirs. C’est tuer le débat. Ne pas blasphémer quand on en a besoin, c’est ne pas s’exprimer. Ne pas s’exprimer, c’est ne pas vivre.
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