• Jean-Luc Piraux
    Jean-Luc Piraux
    comédien
Propos recueillis par Isabelle Leplat

Rire de la mort, avec amour et tendresse

Jean-Luc Piraux est un comé­dien qui aime parta­ger des senti­ments. Sur les planches, il navigue entre humour et tendresse, en tirant la voile pour que le vent souffle de l’un à l’autre. Il est l’auteur et l’interprète du spec­tacle poéti­que­ment décalé Six pieds sur terre, une comé­die sur la vieillesse et la mort.


Salut & Frater­nité : Pour­quoi avoir créé le spec­tacle Six pieds sur terre ?

Jean-Luc Piraux : Au fil du temps, l’équipe avec laquelle je travaille et moi-même nous sommes rendus compte que les thèmes qui m’intéressent tournent autour de la vieillesse, du vieillis­se­ment, des craintes de la mala­die et de la mort, mais aussi de l’angoisse qu’ils génèrent. Par ailleurs, j’ai été confronté dans mon entou­rage, très proche ou plus éloi­gné, aux ques­tions posées par la fin de vie et l’acharnement théra­peu­tique. Ce sujet était fort présent durant ces dernières années. J’ai été ainsi inter­pellé par le fait que mes enfants refu­saient d’en discu­ter. J’ai donc voulu en parler.

© Karl Autrique

S&F : Quelle démarche artis­tique avez-vous mise en place pour prépa­rer le spec­tacle et nour­rir l’écriture ?

J.-L. P. : Il y a eu pas mal de lectures et de vision­nages de films, mais j’ai surtout fait beau­coup d’immersion. Ma femme (NDLR : Brigitte Petit, produc­trice du spec­tacle) et moi sommes allés visi­ter des maisons de repos, aussi bien publiques que privées, parfois de grand luxe. Dans un premier temps, le choc a été pour nous terrible : il y a une énorme concen­tra­tion de vieilles personnes. C’est très impres­sion­nant ! J’ai eu à l’esprit l’image d’un camp de place­ment. J’ai observé puis parlé avec des gens qui ont leur propre langage et qui vivent dans leur propre monde. Petit à petit une forme d’humour a émergé, menant à un déca­lage poétique. J’ai aussi rencon­tré le person­nel soignant qui m’a fait de très belles confi­dences sur son travail et ses rela­tions avec les pension­naires. Je me suis entre­tenu avec des direc­teurs dont la réalité est faite de chiffres, de quotas et de subsides. Quelque chose de tech­ni­que­ment tota­le­ment inhu­main. Nous sommes égale­ment allés visi­ter des soins pallia­tifs. Très curieu­se­ment, j’y ai vu quelque chose de très apai­sant, de très joyeux, rempli d’humanité, voire d’amour… J’ai enfin rencon­tré des méde­cins qui donnent la mort. À partir de toute cette matière première, je suis parti dans l’imaginaire.

J’ai observé puis parlé avec des gens qui ont leur propre langage et qui vivent dans leur propre monde. Petit à petit une forme d’humour a émergé, menant à un déca­lage poétique.

S&F : Faire rire sur la mort, c’est tout à fait possible ?

J.-L. P. : Pour être très honnête j’avais très peur parce que je ne savais pas trop comment le spec­tacle serait reçu. Trois tests publics ont été program­més et les spec­ta­teurs ont appré­cié. Ils ont beau­coup ri, même si certains moments sont plus drama­tiques. Mais le message était clair : ça fait du bien d’en parler. Une vieille dame m’a même tapé sur l’épaule en me disant : « Monsieur, vous pouvez y aller encore plus fort ! ». Des jeunes de 18 ans venus au spec­tacle l’ont adoré. Je pense qu’on peut rire de tout, tant qu’on respecte les person­nages dont on parle, qu’on les aime et qu’il y a une base de vérité et d’honnêteté vis-à-vis de soi. Même en les mettant dans un contexte tota­le­ment absurde.

S&F : Avec votre équipe vous avez retra­vaillé certains endroits un peu plus grin­çants. Était-ce suite à ces repré­sen­ta­tions tests ?

J.-L. P. : C’était après ces repré­sen­ta­tions tests. L’équipe et moi-même nous sommes posés la ques­tion de savoir pour­quoi certains passages fonc­tion­naient moins. Par exemple, abor­der les soins pallia­tifs de façon réaliste choquait tandis que, de manière fran­che­ment bouf­fo­nesque, le déca­lage est tel qu’il est bien reçu, et que ce que nous voulions faire passer est entendu. Des personnes nous ont fait part de leur malaise et souhai­taient que nous n’abordions pas le sujet de l’énurésie par exemple. Il nous a donc fallu déce­ler ce qui gênait indi­vi­duel­le­ment les gens et qui rele­vait du domaine privé, de ce qui n’était pas assez abouti dans l’écriture, la mise en scène ou la drama­tur­gie. Dans ce cas, nous avons retra­vaillé l’écriture. Mais au final, nous avons abordé tout ce dont nous avions envie.

Ce qui me fait plai­sir, c’est quand j’entends qu’on en ressort avec la banane ! C’est un spec­tacle qui libère en tout cas la parole sur le sujet et qui fait rire.

S&F : Peut-on dire fina­le­ment que Six pieds sur terre est une ode au vivant ?

J.-L. P. : Ce qui me fait plai­sir, c’est quand j’entends qu’on en ressort avec la banane ! C’est un spec­tacle qui libère en tout cas la parole sur le sujet et qui fait rire. Et le rire est sans conteste libé­ra­teur, d’une manière ou d’une autre. Et puis, j’aime parler d’amour. D’ailleurs, ce qui se dit le plus, aux soins pallia­tifs, c’est « Je vous aime, merci. » C’est en tout cas le fil rouge que j’ai voulu tisser tout au long de ce spectacle.


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