• André Thonnard
    André Thonnard
    ancien directeur du Centre funéraire de Robermont

«Mourez et nous ferons le reste»

La mort est un commerce floris­sant. Son marché mobi­lise et génère des sommes d’argent consi­dé­rables, aiguise bien des appé­tits et suscite bien des convoi­tises. En guise de témoins de ce succès : la consul­ta­tion des sites inter­net des entre­prises funé­raires, les « pages jaunes » des annuaires télé­pho­niques, les annonces nécro­lo­giques des jour­naux (où il n’est pas rare de trou­ver trois fois le nom de l’opérateur funé­raire pour une seule fois celui de la personne décé­dée), les spots publi­ci­taires radio­pho­niques et télé­vi­suels auxquels se risquent même à colla­bo­rer des repré­sen­tants du show-busi­ness, les supplé­ments gratuits des quoti­diens ou des hebdo­ma­daires, sempi­ter­nels « marron­niers » qui refleu­rissent chaque année aux envi­rons de la Tous­saint, les « offres » de contrats d’obsèques, d’assurances-décès ou d’aides au finan­ce­ment propo­sées jusqu’à nos boîtes aux lettres par les insti­tu­tions bancaires et les compa­gnies d’assurance, les salons ou expo­si­tions funé­raires qui ne sont plus réser­vées unique­ment aux membres de la corporation.


La mort est-elle pour autant un commerce comme les autres ? Pas tout à fait : il est évident que le domaine et les acti­vi­tés qui s’y exercent ne s’adressent qu’à des personnes qui ont l’obligation ou la néces­sité de s’y intéresser.

Ainsi, le commerce funé­raire met en rela­tion d’une part, un pres­ta­taire de services qui se double le plus souvent d’un vendeur de produits et acces­soires (dont certains sont bien sûr indis­pen­sables mais d’autres beau­coup moins, voire sont tota­le­ment inutiles) et d’autre part, son « client », si la rencontre a évidem­ment lieu de son vivant, ou, dans le cas contraire, soit la personne char­gée de pour­voir à ses funé­railles, soit la famille.

La plupart du temps, cette rencontre a lieu après le décès, à un moment très parti­cu­lier où les membres de la famille qui effec­tuent les démarches ressentent une profonde émotion, sont souvent en détresse affec­tive, dans un état psychique qui augmente leur sensi­bi­lité et les rend vulnérables.

Certains profes­sion­nels ne manque­ront pas d’en tirer abusi­ve­ment profit ; d’autres s’en garde­ront et se compor­te­ront toujours comme les assis­tants funé­raires qu’ils reven­diquent d’être. Le reste est affaire privée, d’acceptation ou non de l’offre, de libre choix. Encore faut-il que chacun puisse effec­tuer ce choix en parfaite connais­sance. Ce n’est jamais facile, tant reste ancré chez beau­coup, et parfois de manière complè­te­ment irra­tion­nelle et injuste, un senti­ment d’abandon, de culpa­bi­lité, les regrets aussi de ne pas avoir « assez fait », de son vivant, pour la personne disparue.

Parfois, l’acceptation de dépenses incon­si­dé­rées consti­tuera une forme de récon­fort person­nel, une manière d’effacer un possible ressen­ti­ment, d’évacuer un peu de son amer­tume. Doit-on le regret­ter, le comprendre et s’en réjouir puisque l’attitude et le compor­te­ment véhi­culent et reflètent en quelque sorte la mani­fes­ta­tion de l’amour, du respect qui étaient portés au défunt ?

À chacun de juger. Mais le commerce de la mort a déci­dé­ment encore de beaux jours devant lui.

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