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Julien Dourgnon,
professeur de Sciences économiques
L’égalité, un développement humain durable
Julien Dourgnon est professeur de Sciences économiques, ancien conseiller politique au cabinet de ministre du redressement productif français (2012–2014) et référent de la commission revenu de base à Nouvelle Donne1. Il revient sur les alternatives aux politiques d’austérité.
Salut & Fraternité : Que propose Nouvelle Donne comme alternative aux politiques dites d’austérité ?
Julien Dourgnon : L’économie est un organisme. Sans une bonne circulation sanguine, les organes privés d’oxygène se nécrosent. Couper dans les dépenses de l’État et des ménages, vider les carnets de commande des entreprises, c’est couper cette circulation.
Nouvelle Donne propose de rétablir cette circulation : créer de la monnaie pour promouvoir la transition écologique, refinancer la dette publique à un taux presque nul, séparer banques de dépôt et banques d’investissement, passer à la semaine des quatre jours, et une réforme massive du système fiscal français, particulièrement inégalitaire et en défaveur des petits revenus.
S&F : Pour quelles raisons ?
J.D. : Toutes les analyses montrent que le décile de revenus le plus haut s’enrichit à vive allure tandis que les revenus des déciles les plus bas stagnent ou régressent. Dans les années 60, les plus hauts revenus d’une entreprise gagnaient 30 à 40 fois le salaire le plus bas, et on s’en inquiétait déjà ; aujourd’hui cet écart peut dépasser les 300 fois. Et les plus aisés peuvent échapper à l’impôt par des techniques inaccessibles aux plus pauvres par leur complexité et leurs coûts.
Toutes les analyses montrent que le décile de revenus le plus haut s’enrichit à vive allure tandis que les revenus des déciles les plus bas stagnent ou régressent. (…) Et les plus aisés peuvent échapper à l’impôt par des techniques inaccessibles aux plus pauvres par leur complexité et leurs coûts.
Cet écart est notamment la conséquence du progrès technique. Aujourd’hui, le travail automatisé – les robots, les logiciels – permet de produire beaucoup plus avec beaucoup moins d’effort. Les richesses produites reviennent ensuite au capital, qui possède ces outils de production, mais le salaire des travailleurs qui produisent ces richesses stagne, et les chômeurs se multiplient.
Au final, nous vivons une crise de surproduction. Nous produisons bien plus que nos besoins, mais les travailleurs et les chômeurs n’ont pas les moyens d’acheter cette production.
S&F : À vous entendre, sortir de cette crise, c’est réduire les inégalités.
J.D. : C’est évident. D’un côté il faut réduire cette inégalité de revenus : une société ne peut durer, ni se développer ni même innover si toutes ses couches ne profitent pas de cette capacité de production, de confort. Répartir les richesses, c’est du développement humain durable.
De l’autre, il faut aussi réduire les inégalités dans la répartition du travail. Toutes les sociétés humaines ont voulu libérer ses membres du travail pénible. N’en déplaise à Nicolas Sarkozy, le sens du progrès, c’est travailler moins pour gagner plus. On devrait se réjouir des chiffres du chômage : ils montrent que notre confort est possible avec moins de travail. Pourquoi forcer les gens à travailler toute leur vie alors que ce n’est plus nécessaire ?
Un revenu de base, versé à tous sans condition, pourrait faire d’une pierre deux coups. Permettre à ceux qui le veulent de réduire leur temps de travail en compensant leur perte de revenus, et répartir plus équitablement ces richesses créées par ce progrès dont nous, citoyens d’une société qui le rend possible, sommes tous les ayant-droits. Après la santé et la retraite pour tous, ce revenu de base pourrait être le pilier de la sécurité sociale du XXIe siècle.
S&F : Pourtant, « Donner de l’argent pour ne rien faire » est une idée qui révolte beaucoup de gens…
J.D. : C’est la principale objection au revenu de base. Hors de l’emploi, on ne pourrait que « rien faire ». On parle de loisir, de repos, d’inactivité. Il faut bousculer, casser cette image. S’occuper de personnes âgées, des enfants, coder des logiciels libres, apprendre une langue étrangère, lire même, ce n’est pas « rien faire ». Cela participe à construire cette société qui rend tout progrès possible.
S’occuper de personnes âgées, des enfants, coder des logiciels libres, apprendre une langue étrangère, lire même, ce n’est pas « rien faire ». Cela participe à construire cette société qui rend tout progrès possible.
Ces activités méritent d’être rémunérées par la collectivité. Diminuer le temps de travail et mettre en place un revenu de base me semble beaucoup plus crédible qu’un hypothétique retour du plein emploi.
Les idées qui émancipent font peur. Réduire le temps de travail libère les pensées et les actes, permet de changer la société. Ceux qui profitent de la société telle qu’elle est en sont naturellement inquiets. Regardez les congés payés : les puissants y étaient hostiles. Mais il ne faut pas accuser ceux qui résistent. Il faut les convaincre. Il est nécessaire de combattre cette révolution libérale, qui depuis les années 80 tue toute idée d’émancipation pour le plus grand nombre.
- Nouvelle Donne est un mouvement politique français de gauche lancé le 28 novembre 2013 par Pierre Larrouturou. Il se positionne principalement sur les questions économiques, sociales et environnementales et pour le renouvellement des pratiques démocratiques.