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Neil Datta,
Secrétaire du Forum Parlementaire Européen sur la Population et le Développement
Poids des « anti-choix » en Europe : pas une fatalité !
Depuis une dizaine d’années, les ultraconservateurs en Europe n’ont eu de cesse de consolider leurs structures destinées à influer sur la prise de décisions des institutions européennes. Le Forum parlementaire européen sur la population et le développement a donc enquêté.
Un constat : ces groupes anti-choix sont tous d’inspiration religieuse, spécifiquement chrétienne. Parmi eux, il existe au moins trois grandes tendances distinctes qui œuvrent séparément mais, au besoin, n’hésitent pas à collaborer.
La main du Vatican, les « traditionnalistes œcuméniques » et les « Ultras »
La première tendance est un réseau ancien, actif dans la plupart des pays de l’Europe continentale, qui constitue clairement la main du Vatican dans les affaires européennes. On y retrouve entre autres l’European Center for Law and Justice, l’European Dignity Watch ou l’Institut européen de bioéthique. Ces groupes sont spécialisés dans le lobbying politique et juridique. Ils ont ouvert une base pseudo scientifique pour légitimer leurs idéaux religieux. Ils se positionnent au centre de l’échiquier politique mais sont profondément rétrogrades sur les questions éthiques et sociales. Souvent affiliés au Parti populaire européen, ils cherchent à obtenir des postes d’influence afin de rassembler le parti autour de leur ordre du jour. De 2004 à 2009, Anna Zaborska1 a ainsi assuré la présidence de la commission du Parlement européen sur les droits des femmes et de l’égalité. Elle y a bloqué tout progrès dans ces matières pendant cinq ans.
Ces groupes sont spécialisés dans le lobbying politique et juridique. Ils ont ouvert une base pseudo scientifique pour légitimer leurs idéaux religieux. Ils se positionnent au centre de l’échiquier politique mais sont profondément rétrogrades sur les questions éthiques et sociales.
Le deuxième courant, les « traditionalistes œcuméniques », est plus récent. Rassemblé autour du Mouvement politique chrétien européen, il est composé de protestants traditionalistes, de catholiques des pays d’Europe du Nord et, ponctuellement, de chrétiens orthodoxes. Soutenus, entre autres, par des lobbies actifs aux États-Unis, ils sont à l’initiative notamment de l’exposition de photos comparant l’avortement à l’Holocauste qui a notamment été présentée au Parlement européen.
La troisième tendance d’anti-choix, les « Ultras », véritables reliques du passé fasciste européen, est relativement hétérogène. Elle est composée de mouvements traditionalistes catholiques liés à l’extrême droite. Ils comptent dans leur rang la Fraternité Saint-Pie X ou Droit de Naître. Leurs points de vue rétrogrades sur la démocratie, l’autocratie, la laïcité et l’œcuménisme, et leur tendance occasionnelle au révisionnisme les placent aux marges de la politique et de la société. Le meilleur exemple d’une entité Ultra est la nébuleuse des 50 organisations qui font partie du mouvement Tradition, Famille et Propriété. Ils agissent comme un pont entre, d’une part, le conservatisme centre-droit respectable et, d’autre part, l’extrême droite et les éléments postfascistes issus de certains paysages politiques européens. Les Ultras tiennent également à l’œil les autres acteurs conservateurs et, si nécessaire, les mettent sous pression. Enfin, ils se sont frottés à la mobilisation sociale en organisant des manifestations.
Des initiatives conservatrices plus organisées mais pas encore perçantes
Portées par une trentaine de personnes influentes au niveau européen, les initiatives rétrogrades ont bien augmenté ces dernières années. La plus importante, « Un de Nous », visait à supprimer le financement des recherches concernant la destruction d’embryons. Après le soutien affiché de deux papes, elle a recueilli plus de 1,7 million de signatures dans une quinzaine d’états. Par ailleurs, les anti-choix ont particulièrement mobilisé sur des thèmes ultra-conservateurs et homophobes en France, en Allemagne et en Espagne. Cantonnée dix ans plus tôt aux États-Unis, la remise en cause du droit à l’avortement connaît aujourd’hui un retour en Europe.
(…) les mouvements anti-choix sont contraints d’adapter et de lisser leurs discours pour être entendus. Un signe que leur véritable mission est tout simplement encore inacceptable pour la grande majorité des Européens.
Heureusement, malgré la pression, que ce soit face à « Un de Nous » ou à la plupart de leurs initiatives législatives, la Commission et le Parlement européens n’ont pas suivi leurs demandes. Certes, leur action n’est pas sans effet : citons notamment l’abandon du rapport Estrela (voir page 6). Cependant, malgré les moyens déployés, force est de constater que leurs idées gagnent encore peu de terrain dans la population. Par ailleurs, les mouvements anti-choix sont contraints d’adapter et de lisser leurs discours pour être entendus. Un signe que leur véritable mission est tout simplement encore inacceptable pour la grande majorité des Européens.
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