• Robert Moor
    Robert Moor
    président du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège

Pour plus de mixité sociale : réseau unique et libre-choix adapté

En vue de lutter contre la ségré­ga­tion de notre ensei­gne­ment, le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège défend deux propo­si­tions : un réseau unique et un libre choix d’établissement enca­dré. Robert Moor, admi­nis­tra­teur de l’association, nous apporte son éclairage.


L’Article 24 de la Consti­tu­tion belge impose la liberté d’enseignement – chacun est libre d’organiser ses propres struc­tures d’enseignement – et le libre choix de l’école – chaque famille est libre de choi­sir l’école de son enfant. Ces deux carac­té­ris­tiques intègrent la volonté des rédac­teurs de la Consti­tu­tion en 1831 de donner à l’enseignement, essen­tiel­le­ment catho­lique à l’époque, la possi­bi­lité de se déve­lop­per sans entrave légis­la­tive et celle des parle­men­taires de 1989 de « consti­tu­tion­na­li­ser » le pacte scolaire. Celui-ci, voté le 29 mai 1959, permet­tait à l’enseignement libre1
de rece­voir un finan­ce­ment quasi égal à celui de l’enseignement offi­ciel2, tout en gardant une struc­ture privée (asbl); c’est ce que l’on a appelé un « service public fonctionnel ».

Dans une logique de quasi-marché, le marke­ting scolaire du libre – cette capa­cité à se « vendre » auprès du « public-parents » – a pu se déployer sans que les réseaux offi­ciels ne puissent riva­li­ser et, dans une société de l’image, une sélec­tion des élèves s’est opérée sur une base socio­cul­tu­relle et ethnique.

Face aux réseaux de l’officiel, très démo­cra­tiques, trans­pa­rents et parti­cu­liè­re­ment contrô­lés par les instances publiques (parle­ment de la Fédé­ra­tion Wallo­nie-Bruxelles, conseils provin­ciaux et commu­naux) et à la souplesse d’action réduite (comp­ta­bi­lité, procé­dures admi­nis­tra­tives, …), le réseau libre a pu démon­trer sa rapi­dité de déci­sion et de gestion dans un dispo­si­tif peu contrôlé (conseil d’administration décisionnel).

Dans une logique de quasi-marché, le marke­ting scolaire du libre – cette capa­cité à se « vendre » auprès du « public-parents » – a pu se déployer sans que les réseaux offi­ciels ne puissent riva­li­ser et, dans une société de l’image, une sélec­tion des élèves s’est opérée sur une base socio­cul­tu­relle et ethnique. De graves dérives sont ainsi appa­rues, de ségré­ga­tion et de duali­sa­tion. Si quelques écoles offi­cielles sont répu­tées « élitistes », l’enseignement catho­lique en a fait son image de marque, parti­cu­liè­re­ment dans les grandes villes.

CC-BY-NC-SA Flickr​.com – Oli Bac

Cet ultra­li­bé­ra­lisme dans l’enseignement, qui a conduit à « trier les enfants », nous appa­raît choquant et injuste. Il conduit à des écoles secon­daires « ghet­tos », le plus souvent tech­niques et profes­sion­nelles, où se concentrent les jeunes issus de l’immigration ou des milieux socioé­co­no­miques les plus pauvres et des écoles « pour gens aisés » ou ceux qui « veulent se faire admettre parmi les gens aisés », très souvent d’enseignement général.

Cette absence de mixité sociale dans notre système d’enseignement appa­raît inac­cep­table au Centre d’Action Laïque de la Province de Liège. En cette période préélec­to­rale, nous pensons donc que seule une réforme de struc­ture d’envergure peut résoudre cette problématique.

Il serait souhai­table d’engager, dès la prochaine légis­la­ture, un proces­sus progres­sif de fusion de tous les réseaux en un seul réseau public valable pour toute la Fédé­ra­tion Wallo­nie-Bruxelles. Lui seul pourra restau­rer une mixité sociale indis­pen­sable à la scola­rité épanouie de tous les enfants et adolescents.

(…) si l’école de demain veille à la mixité des publics, au sein d’un réseau unique, le libre choix se fera natu­rel­le­ment, sur le critère de proxi­mité, toutes les écoles deve­nant de qualité semblable (comme en Finlande) et non plus sur un critère de rejet, de ségré­ga­tion ou de relégation.

Il est temps de rassem­bler ce qui est épars ; l’argent public doit être redis­tri­bué d’une manière plus effi­cace, en évitant les doublons et le regrou­pe­ment des écoles, ce qui amènera une réelle ratio­na­li­sa­tion de l’offre scolaire et une redis­tri­bu­tion possible des moyens vers plus d’encadrement des jeunes – cours avec profes­seurs en duo – une reva­lo­ri­sa­tion baré­mique des ensei­gnants, le tout dans des infra­struc­tures rénovées.

La Cour consti­tu­tion­nelle a validé le Décret inscrip­tions en 1re secon­daire (voté le 18 juillet 2008) dit « Décret mixité sociale » ; ainsi est confir­mée la primauté de l’objectif de mixité sociale sur le libre choix absolu des parents. Faisons donc confiance aux juristes pour conce­voir un dispo­si­tif qui respec­tera la Consti­tu­tion et inté­grera des struc­tures admi­nis­tra­tives effi­caces et trans­pa­rentes3, sur une base terri­to­riale à défi­nir4, ce nouveau système devrait inté­grer une réforme des cours philo­so­phiques, dans le respect des convic­tions reli­gieuses et philo­so­phiques de chacun.

Souli­gnons enfin que, si l’école de demain veille à la mixité des publics, au sein d’un réseau unique, le libre choix se fera natu­rel­le­ment, sur le critère de proxi­mité, toutes les écoles deve­nant de qualité semblable (comme en Finlande) et non plus sur un critère de rejet, de ségré­ga­tion ou de relé­ga­tion. La diver­sité cultu­relle et socio-écono­mique ainsi géné­rée devien­dra un atout plutôt qu’un fardeau, rassem­blant tous les jeunes, sans discri­mi­na­tion, quelle que soit leur origine. Notre ensei­gne­ment rede­vien­dra alors cet ascen­seur social qui, dans le marché scolaire actuel, s’est irré­mé­dia­ble­ment bloqué.


  1. Il existe un réseau libre non confes­sion­nel mais mino­ri­taire, repré­senté par la Fédé­ra­tion des Établis­se­ments Libres Subven­tion­nés Indé­pen­dants (FELSI) et un réseau confes­sion­nel, essen­tiel­le­ment catho­lique, fédéré autour du Secré­ta­riat géné­ral de l’enseignement catho­lique (SEGEC).
  2. Cerise sur le gâteau, le fonds des bâti­ments scolaires du libre assure, depuis plus de 55 ans, le subven­tion­ne­ment partiel de bâti­ments scolaires privés (garan­tie de prêt et rembour­se­ment d’une bonne partie des inté­rêts liés aux emprunts scolaires !).
  3. Pour­quoi pas des « asbl mixtes » où siège­raient des admi­nis­tra­teurs publics et privés ou des orga­nismes d’intérêt public (OIP), telle la RTBF ?
  4. Sans doute dans une logique de bassins scolaires.
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