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Flavio Di Campli,
attaché au Département du Patrimoine – Direction de la Protection
La Sauvenière, lieu de mémoire au cœur de Liège et des Liégeois
« La Sauvenière, Bains et Thermes liégeois » est à juste titre saluée lors de son inauguration en 1942 comme « la réalisation la plus marquante parmi celles existant en Belgique » .1
Dans les années 1930, la construction de ce remarquable complexe sportif répond à une véritable nécessité2. La ville ne dispose plus de piscine couverte depuis 1919. D’autre part, l’absence de salles de bains dans la plupart des logements rend indispensable la création de bains-douches publics. Plusieurs projets s’efforcent de combler cette lacune, divers emplacements sont proposés, au Petit Paradis en bord de Meuse, rue Surlet, dans les jardins de l‘hospice du Vertbois, mais aucun n’aboutit. En janvier 1935, la société coopérative « Sport et Santé » est même constituée et se donne pour objet d’encourager la pratique du sport et plus précisément de promouvoir la construction d’une piscine au Petit Paradis. Cette année là également est constitué le gouvernement tripartite (catholique, libéral, socialiste) de Van Zeeland. Des fonds sont mis à disposition des communes prenant des initiatives, entre autres de construction de piscines3. Ce n’est que le 5 octobre 1936 que l’échevin socialiste Georges Truffaut fait adopter par le Conseil communal un projet visant à construire un établissement de bains à l’emplacement de l’école communale de la place Xavier Neujean. Un concours est organisé. Le programme imposé prévoit, sur un terrain de 80 m sur 29, la construction d’une gare routière devant servir de terminus aux différentes lignes d’autobus desservant la région liégeoise ; de deux bassins de natation, un pour nageurs, l’autre pour non-nageurs et écoliers ; d’un ensemble complet de bains publics avec bains baignoires et bains douches, bains hydrothérapiques avec douches en jet, douches dorsales, douches circulaires, massages, sauna, bains d’air chaud, solarium ; d’un restaurant et de logements pour le directeur et le concierge.
Quarante neuf projets sont soumis à la première épreuve, parmi lesquels six sont retenus. Au terme de la seconde épreuve, c’est un des deux projets proposés par le Liégeois Georges Dedoyard qui est choisi, le 18 mai 1937.
Initié en 1938, le chantier de la Sauvenière accuse un retard important dû au début de la Seconde guerre mondiale. Le bâtiment en construction souffre du bombardement du 25 mai 1940. Une trentaine de réfugiés sont accueillis dans l’abri anti-aérien souterrain pendant ce mois de mai. L’immeuble est enfin achevé en 1941 et l’inauguration officielle a lieu le samedi 2 mai 1942. Le lendemain, le bassin est ouvert au public.
Le bâtiment abrite une gare routière au rez-de-chaussée, avec accès vers le boulevard de la Sauvenière et la place Xavier-Neujean. Un majestueux hall de près de 80 m de long, comprenant les piscines, surmonte la gare. Il est couvert par une voûte en briques de verre portée par huit arcs en béton armé. Les dégagements et locaux annexes occupent un immeuble de sept étages qui se dresse vers le boulevard. En sous-sol sont logés les installations techniques et un abri anti-aérien pour 400 personnes.
La disposition interne répond à deux préoccupations essentielles : d’une part, faciliter l’itinéraire des différentes catégories d’utilisateurs : baigneurs, nageurs, écoliers, spectateurs assistant aux compétions; ces parcours ont fait l’objet d’une étude très poussée. D’autre part, assurer les conditions d’hygiène des installations, en séparant les bassins de natation des lieux de propreté et en faisant en sorte que les nageurs soient toujours obligés de passer par les douches avant d’accéder aux bassins4. La préoccupation de l’hygiène est dominante. La fréquentation est considérable dès le début : 771 147 entrées en 1942, 842 713 en 1943 et 753 315 en 19445.
Pendant l’occupation, un grand spectacle appelé Théâtre d’eau est organisé au profit des blessés de guerre belges de l’hôpital Saint-Laurent. Les locaux destinés à la gare d’autobus abritent les bureaux du rationnement, devenus bureaux du service de ravitaillement à la Libération.
La Sauvenière, témoin de la vie intense qui s’y est développée pendant plus de soixante ans, reste évidemment chère aux cœurs des Liégeois qui l’ont connue dans sa période de gloire. Son intérêt architectural, mais aussi social, justifie largement le classement comme monument (…)
Le Centre sportif de la Sauvenière est créé en 1948 et de nombreux clubs vont y pratiquer, outre la natation, le judo, la boxe, la lutte, le tennis de table, l’escrime, etc. À partir de cette année-là, la natation scolaire va largement se développer, drainant chaque année des milliers d’écoliers. Un local est aussi occupé par le Ballet du Théâtre royal dès 1955. La gare routière n’est mise en service qu’en 1950 avec tous ses locaux annexes. Elle accueille vingt lignes régulières permettant 400 départs chaque jour6.
La Sauvenière, témoin de la vie intense qui s’y est développée pendant plus de soixante ans, reste évidemment chère aux cœurs des Liégeois qui l’ont connue dans sa période de gloire. Son intérêt architectural, mais aussi social, justifie largement le classement comme monument reconnu par arrêté ministériel du 4 mai 20057.
- ANONYME, 1942. Bains et Thermes « La Sauvenière », à Liége. Architecte : G. Dedoyard. L’art de bâtir, 8, p. 151.
- COLLECTIF, 1946. Hommage à Georges Truffaut, promoteur des Bains de la Sauvenière, Liège. – DEPAIRE J.-P.,1988. Rétrospective de la natation à Liège, Liège, Échevinat des Sports.
- DEPAIRE J.-P., op. cit, p. 11-27.
- COLLECTIF, 1946. Hommage à Georges Truffaut, promoteur des Bains de la Sauvenière, p. 37.
- Idem, p. 50.
- DEPAIRE J.-P., op. cit, p. 37.
- DI CAMPLI F., 2005. Des Bains de la Sauvenière à Mnema, Cité Miroir à Liège, Les Cahiers de l’Urbanisme, 57, p. 69-73.