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Pierre Lebuis,
professeur au département de didactique à l’Université du Québec à Montréal
Un cours philosophique unique au Québec depuis 2008
Pierre Lebuis est aujourd’hui professeur au département de didactique à l’Université du Québec à Montréal. Il a enseigné de nombreuses années au département de sciences des religions. Il a également mené des travaux dans le domaine de l’éthique et de l’enseignement moral dans une perspective non confessionnelle. Fort d’une riche expérience, il a participé à l’élaboration du programme « Éthique et culture religieuse » au Québec.
Salut & Fraternité : Comment la société québécoise est-elle arrivée à la mise en place de ce cours commun à tous les élèves ?
Pierre Lebuis : le programme « Éthique et culture religieuse » au Québec est obligatoire depuis 2008 et il fait suite à un long processus de laïcisation de notre système scolaire. Il y a une cinquantaine d’années, l’enseignement était sous la férule des Églises catholique et protestante. Les évêques étaient d’ailleurs tous membres d’un conseil de l’instruction publique. Le système a bien évolué, mais il a longtemps gardé une forte influence des mouvements religieux.
Le Québec a fait le choix de ne pas éduquer les élèves à une seule religion mais à la connaissance de l’existence de différentes croyances sur certains sujets, avec une approche de l’éthique et de la pratique du dialogue.
La morale non confessionnelle a quant à elle fait son apparition dans les années 70 pour répondre à la demande croissante de celles et ceux qui voulaient être exemptés d’enseignement religieux. À la fin des années 90, suite à un vaste débat, il a été décidé de procéder à la laïcisation du système scolaire. Dès 2000, les structures ont été laïcisées. À ce moment, décision a été prise de maintenir, dans le primaire et au premier cycle du secondaire, un régime d’options religieuses tout en amorçant la création d’un nouveau type de cours qui intégrerait des études du phénomène religieux et de la réflexion éthique. Ce programme, « Éthique et culture religieuse », n’a finalement pas vu le jour, mais le débat s’est poursuivi à cause d’une insatisfaction importante de parents quant à la poursuite du régime d’options religieuses.
Avant le vote de la loi en 2005, de nombreuses associations ont alors réclamé la fin de tels régimes à l’école. Le gouvernement a donc choisi de mettre en place, en trois ans seulement, un parcours commun pour les élèves du primaire et du secondaire sur les questions éthiques et religieuses. L’idée était de passer d’une approche confessionnelle à une approche culturelle du phénomène religieux. Dès 2005, le Québec a donc choisi de cesser la multiplication de l’offre de formation à différents groupes religieux au profit d’un seul parcours. Il l’a mis en place dans le système public, bien sûr, mais aussi dans l’enseignement privé, même confessionnel. Le Québec a fait le choix de ne pas éduquer les élèves à une seule religion mais à la connaissance de l’existence de différentes croyances sur certains sujets, avec une approche de l’éthique et de la pratique du dialogue.
S&F : Quels sont les débats en amont et quelles ont été les résistances ?
P.L. : Certains dénonçaient la structure confessionnelle de l’enseignement et l’iniquité pour les personnes qui ne se reconnaissent dans aucune religion. Des états généraux sur l’éducation ont été alors mis en place et ceux-ci ont conclu à la nécessité d’une réforme du curriculum. Ils ont constitué une dizaine de chantiers, dont un avait pour objectif de parachever la laïcisation du système scolaire. Un groupe de travail a pris ce chantier en charge au milieu des années 90. Finalement, ce groupe a rendu ses conclusions en 1999 et une vaste consultation nationale a suivi le dépôt de son rapport. Deux groupes ont été particulièrement présents dans le débat : une coalition d’organismes pour la déconfessionnalisation du système scolaire et, à l’opposé, un ensemble de groupes religieux, catholiques particulièrement. Beaucoup de parents du confessionnel disaient alors qu’on ne pouvait pas aborder le phénomène religieux quand on est trop jeune, avant d’avoir développé sa propre religion. Cette démarche risquait, selon eux, de troubler les enfants dans leur propre conviction en construction. Mais d’autres parents déclaraient que c’était ingérable et que l’État n’avait pas à offrir aux différents groupes religieux un enseignement confessionnel. Le groupe de travail concluait à la nécessité d’une approche culturelle du phénomène religieux avec en complément une approche éthique. Le gouvernement, en 2005, a décidé de les rassembler en un seul programme et d’amener à la déconfessionnalisation totale de l’enseignement par l’instauration de ce programme commun à tous les élèves.
- Pour plus d’informations :
http://www.educ-revues.fr/DIOTIME/AffichageDocument.aspx?iddoc=39078&pos=2