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Geoffrey de Schutter,
expert en matière de développement durable
Sortir du PIB, pour compter ce qui compte vraiment
« Le coût des problèmes psychologiques dans la population active en Belgique se situe à 3,4% du produit intérieur brut (PIB), selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)» .
Ainsi titrait une dépêche de l’agence Belga datée de ce 29 janvier. Le reste de la dépêche est sur le même ton. Donc, on nous dit que des gens vont mal. Et que nous dit-on d’eux ? D’eux-mêmes, en fait, pas grand chose. Ni en quoi ils sont mal, ni pourquoi ils vont mal. On nous dit plutôt qu’ils nous « coûtent », en chiffrant ce coût à 3,4% du PIB de la Belgique.
évidemment, une telle formulation ne veut pas dire grand chose. Ces gens-là remis sur pieds, rendus à nouveau « productifs », la crise n’en serait pas finie pour autant, pas plus que la tendance structurelle à perdre de la croissance ne s’inverserait par miracle. Mais ainsi fonctionnons-nous aujourd’hui, la « bonne » raison de soigner ces gens qui sont mal, l’argument utile qui fera la différence, semble bien être celui de la (perte de) croissance économique. Il y a là, me semble-t-il, une vraie inversion entre les fins et les moyens. Finalement, la croissance, c’est sensé être au service du bien-être des gens, non ? Ou serait-ce aujourd’hui devenu l’inverse ?
Aujourd’hui notre société, et plus encore ses décideurs, est focalisée à l’extrême sur la question de la croissance économique. L’ensemble de cette « vision » repose sur une conviction : elle constitue « le » moyen d’assurer le bien-être des gens. Cette conviction est évidemment sensée. Et on peut dire que son installation au sortir de la dernière guerre a grandement contribué à reconstruire l’Europe. Mais elle est très insuffisante, et aujourd’hui, et chez nous, plus que jamais.
Il apparaît ainsi clairement aussi qu’au-delà d’un certain niveau de PIB (de l’ordre de 15 000 $ par an) il n’y a plus de bénéfices humains ou sociaux liés à un plus de croissance. Que l’on mesure le taux d’éducation, l’espérance de vie, la satisfaction de vie, les inégalités ou tout autre indicateur essentiel, la courbe est toujours la même : la croissance aide dans un premier temps, mais n’apporte plus de bénéfice ensuite. Et nous sommes de ceux qui avons, largement, dépassé ce seuil-là.
Dans ce contexte, c’est la question même de notre modèle de développement, basé sur le dogme de la croissance économique, qui se pose à nous. Notre enjeu aujourd’hui est donc de rebâtir un modèle de développement qui assure le bien-être des gens, sans s’aveugler sur la croissance économique comme moyen unique d’assurer ce bien-être. Sans, non plus, la diaboliser comme moyen, parmi d’autres.
C’est dans ce contexte que l’installation de nouveaux Indicateurs Phares, complémentaires au PIB, doit impérativement être mise en place. Ceux-ci doivent, forcément, sortir du modèle existant pour contribuer à en définir un nouveau et doivent donc se situer à un niveau d’intégration des enjeux supérieur à celui des moyens. Pour trouver des solutions à nos crises, il faut parler des fins, des buts, du développement et plus seulement de tel ou tel moyen. C’est pourquoi ces nouveaux indicateurs, « au-delà du PIB » font forcément référence à des termes globaux aussi essentiels, et aussi complexes, que « Bien-être », « Satisfaction de Vie », « Vivre mieux », « Bonheur », etc.
En fait, il y a urgence aujourd’hui à oser se focaliser sur l’essentiel, même si cet essentiel est plus difficile à définir que l’accessoire.
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