- Pierre Pétry,
président du Centre d'Action Laïque de la Province de Liège (1995-1997)
Le Bonheur est-il identique pour un esprit religieux et un humaniste laïque ?
La question pourrait être rejetée d’emblée en argumentant la non-similitude entre les vécus ou ressentis de bonheur et cela indépendamment du mode d’appropriation qu’il ressorte d’un esprit religieux ou humaniste laïque.
En effet, le bonheur se caractérise par sa singularité, il supporte mal la comparaison, y compris pour un même individu puisque en évolution constante. Ainsi, le laïque comme l’esprit religieux déclareront-ils leur plus grand bonheur à l’occasion de la naissance d’un enfant. Des nuances apparaîtront immédiatement dès qu’ils rapporteront leur vécu mais je doute que les experts puissent établir significativement (au sens statistique du terme) un lien causal avec leurs convictions respectives.
Nous savons que la différence est par contre plus évidente dès que la question centrale du SENS de l’existence est en débat. Ici, l’esprit religieux pourrait disposer d’un avantage lui permettant la réduction des angoisses existentielles liées à la finitude de la vie puisqu’il dispose d’une réponse à la question de l’Après. Les courants monothéistes ont plutôt « réussi » une prise en main pourtant menaçante de l’espèce humaine à laquelle il était fortement suggéré de patienter, loin de certaines tentations, en divisant notamment les genres, pour avoir accès au bonheur éternel au terme de sa vie.
Comment expliquer que cela marche ? Pourquoi l’épicurisme terrien n’a‑t-il pas réussi ? Pourquoi certains courants religieux anciens et disparus, prônant les plaisirs terriens parce que seuls les dieux étaient éternels, ont-ils fait faillite et sont passés aux oubliettes ? Pourquoi l’être humain se soumet-il à ce point… pour en plus souffrir ?
La réponse humaniste laïque à la finitude serait trop peu satisfaisante voire anxiogène pour le commun des mortels à moins de disposer d’un arsenal de compétences intellectuelles, sociales, culturelles et morales pour être à même de résister au diktat religieux et trouver l’apaisement – le bonheur – dans les seules limites de sa vie.
La réponse humaniste laïque à la finitude serait trop peu satisfaisante voire anxiogène pour le commun des mortels à moins de disposer d’un arsenal de compétences intellectuelles, sociales, culturelles et morales pour être à même de résister au diktat religieux et trouver l’apaisement – le bonheur – dans les seules limites de sa vie. Il y a en effet des savoirs et une éducation nécessaires pour mettre en mots le bonheur, pour pouvoir le nommer, pour qu’il débarque dans la conscience des individus qui l’identifieront et tenteront de le conserver ou le retrouver durant toute leur existence.
La laïcité philosophique soutient un projet strictement humaniste. De plus en plus d’hommes s’y référeraient mais force est de constater que d’autres suggèrent de mettre la raison à la faute et inciteraient à plutôt pactiser avec les religions pour tenter la mise en chantier de solutions existentielles différentes aux crises humaines et sociales actuelles.
Par extension, ceux-là pensent que le bonheur humain ne peut exister en dehors d’une démarche qui associerait le spiritualisme religieux et la voie de la raison de sorte que la formulation de la question posée au début pourrait bien être inadéquate ou obsolète. Mais, au contraire, ne serait-elle pas terriblement d’actualité parce qu’elle invite à renforcer nos convictions pour mieux faire face à ce qui pourrait être une récupération machiavélique du religieux ? La posture semble pertinente puisque nous observons dans un même tourbillon, un christianisme qui serait aux abois, un islamisme radical actif et exclusif ou encore l’émergence de mouvances sectaires qui feraient recette,… le tout potentiellement au détriment de l’humanisme laïque. Capables de s’associer autour de la notion d’un dieu unique, tous y vont de leurs réponses au désir de bonheur et c’est là que le jeu est inégal. Bref je craindrais plutôt un consortium religieux qui mettrait en évidence que les bonheurs célestes resteront toujours supérieurs face au dit échec de la raison ou à l’insuffisance de ses réponses aux problèmes d’ici bas.
Des centaines de millions d’hommes et de femmes attendent que leurs besoins essentiels soient satisfaits, ce qui est la condition incontournable pour avoir accès aux niveaux supérieurs, en un mot le bonheur. Pour que ce droit naturel devienne celui du plus grand nombre, il faut que la société – et non Dieu – restaure la solidarité et la fraternité.
Personnellement je dirai en guise de conclusion que ce débat devrait, le plus définitivement possible, céder la place à une réflexion bien plus basique mais combien essentielle. Des centaines de millions d’hommes et de femmes attendent que leurs besoins essentiels soient satisfaits, ce qui est la condition incontournable pour avoir accès aux niveaux supérieurs, en un mot le bonheur. Pour que ce droit naturel devienne celui du plus grand nombre, il faut que la société – et non Dieu – restaure la solidarité et la fraternité. Le bonheur ne peut se réaliser au prix d’une quelconque exclusion, le bonheur des uns ne peut se réaliser au détriment de celui des Autres.
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