• Ezio Gandin
    docteur en Sciences et Président des Amis de la Terre - Belgique

Le progrès continu, un mythe mystificateur

Le progrès continu est un des mythes les plus puis­sants, né dans nos socié­tés occi­den­tales avec le siècle des Lumières et le déve­lop­pe­ment des sciences et des tech­no­lo­gies qui a suivi. Ce mythe repose sur la croyance que toutes les nouvelles décou­vertes de la science en termes de connais­sance, de compré­hen­sion de la nature, de l’univers ainsi que toutes les avan­cées et nouveau­tés tech­no­lo­giques seront auto­ma­ti­que­ment géné­ra­trices de progrès pour l’humanité.

Cette croyance est encore aujourd’hui large­ment mise en avant pour justi­fier le soutien public et privé massif à la recherche fonda­men­tale et à la recherche appli­quée. S’il est évident que les énormes moyens humains et finan­ciers que nos socié­tés inves­tissent depuis des dizaines d’années ont permis des déve­lop­pe­ments extra­or­di­naires au niveau de nos connais­sances de l’infiniment petit (par exemple le fonc­tion­ne­ment intime des cellules vivantes) à l’infiniment grand (par exemple la nais­sance et la mort des étoiles et galaxies) ainsi que la mise au point de remar­quables tech­niques d’observation, de carac­té­ri­sa­tion, de soins et de tech­no­lo­gies de produc­tion, il est plus évident encore que la qualité de vie des hommes d’ici et d’ailleurs ne s’améliore plus. Misère de plus en plus géné­ra­li­sée au Sud, augmen­ta­tion des suicides et de la quan­tité d’antidépresseurs au Nord, injus­tices sociales de plus en plus marquées au Sud comme au Nord ne sont que quelques-uns des indi­ca­teurs de cette dégradation.

Physique, chimie, biolo­gie, etc. nous offrent aujourd’hui de remar­quables modèles de compré­hen­sion de la vie qui devraient « acti­ver » chez les cher­cheurs en premier et l’humanité ensuite un profond senti­ment de respect, d’émerveillement face à ce que 4 milliards d’années de déve­lop­pe­ment de la vie sur ce petit « caillou » appelé Terre a pu créer. Ces connais­sances et toutes les tech­no­lo­gies déri­vées sont hélas, encore aujourd’hui, prio­ri­tai­re­ment utili­sées pour domi­ner la nature, pour la détruire.

Il est indis­pen­sable de remettre en cause notre mode de vie, notam­ment en consom­mant plus local et de saison. CC-BY-NC-SA manuel MC

En effet, dans les faits, si nous regar­dons l’évolution des grands écosys­tèmes terrestres ou si nous adop­tons des outils comme l’empreinte écolo­gique, nous consta­tons qu’en quelques décen­nies, suite à l’explosion démo­gra­phique de l’humanité et au prélè­ve­ment des ressources néces­saires pour garan­tir les « besoins » de l’humain désor­mais défi­nis par la consom­ma­tion de biens et de services presque sans limite – Ameri­can and euro­pean way of life – nous sommes passés au-delà de ce que cette Terre avec sa biodi­ver­sité peut nous « offrir » ; nous détrui­sons le « capi­tal » généré par ces 4 milliards d’années de Vie.

De plus, les choix faits dans le passé, de déve­lop­per des tech­no­lo­gies, par exemple, dévo­reuses d’énergie fossile (chau­dières, voitures, avions, etc.) ou basées sur la fission nucléaire mettent sur l’humanité entière et, avec nous, sur toutes les autres formes de vie, une hypo­thèque impor­tante sur notre avenir commun, respec­ti­ve­ment par la désta­bi­li­sa­tion du climat et par la conta­mi­na­tion radio­ac­tive globale.

Toutes ces connais­sances scien­ti­fiques que nous accu­mu­lons démontrent chaque jour, un peu plus, ce que le « simple » bon sens de certains avait déjà rendu évident : la vie de l’Humanité est liée à la Terre et elle n’est possible que grâce à tout ce que la biodi­ver­sité nous offre – la qualité de l’air, de l’eau, des sols, etc. Et cette biodi­ver­sité subit actuel­le­ment un effon­dre­ment comme jamais aupa­ra­vant et ce en raison de la pres­sion de l’humanité !

Ce chan­ge­ment person­nel indis­pen­sable doit être accom­pa­gné, soutenu, ampli­fié par des choix collec­tifs radi­caux comme la sortie du nucléaire, la très forte réduc­tion de la produc­tion de gaz à effet de serre, la fin d’une agri­cul­ture basée sur les éner­gies fossiles et les intrants chimiques, la réduc­tion des inéga­li­tés sociales chez nous et avec les pays du Sud, la sortie d’autres mythes dévas­ta­teurs comme celui de la crois­sance économique.

Cette analyse rapide démontre que les déve­lop­pe­ments des sciences et des tech­no­lo­gies n’induisent pas auto­ma­ti­que­ment le progrès, c’est-à-dire l’amélioration du bien-être de la grande majo­rité de l’humanité d’aujourd’hui et de demain. Nous vivons actuel­le­ment la fin de ce mythe du progrès continu.

Comment sortir de cette situa­tion ? Il est indis­pen­sable que chacun indi­vi­duel­le­ment, surtout et d’abord ici dans nos pays riches, nous remet­tions en cause notre mode de vie pour réduire nos besoins en ressource d’un facteur 3 à 41. La tech­no­lo­gie pourra momen­ta­né­ment nous aider comme par exemple dans la réno­va­tion et la construc­tion des bâti­ments ; mieux encore, le bon sens comme par exemple au niveau de l’alimentation (consom­mer beau­coup moins de viande, plus local, de saison, etc.) et bien mieux encore, le choix d’une vie plus lente, plus simple offrent de multiples pistes pour y arri­ver rapi­de­ment et limi­ter les erre­ments. Ce chan­ge­ment person­nel indis­pen­sable doit être accom­pa­gné, soutenu, ampli­fié par des choix collec­tifs radi­caux comme la sortie du nucléaire, la très forte réduc­tion de la produc­tion de gaz à effet de serre, la fin d’une agri­cul­ture basée sur les éner­gies fossiles et les intrants chimiques, la réduc­tion des inéga­li­tés sociales chez nous et avec les pays du Sud, la sortie d’autres mythes dévas­ta­teurs comme celui de la crois­sance économique.

Les énormes budgets en recherche appli­quée étant aujourd’hui prin­ci­pa­le­ment déci­dés, pilo­tés et injec­tés par les entre­prises privées d’abord rivées sur leur profit immé­diat propre, il est impé­ra­tif de déve­lop­per de  nouvelles formes de « contrôle » public ou, mieux encore, citoyen pour suivre et déci­der de l’avenir et, en parti­cu­lier, du déploie­ment de toutes ces avan­cées tech­no­lo­giques afin d’éviter de se retrou­ver, par la suite, face à des problèmes qui appa­raissent inso­lubles tant ils sont globaux et inter­con­nec­tés. Bien plus que la science et la tech­no­lo­gie, c’est notre conscience indi­vi­duelle et collec­tive qui sera notre meilleur guide vers un réel progrès commun.


  1. Le facteur 4 corres­pond à une réduc­tion de 75% de nos consom­ma­tions. L’expression « facteur 3 », signi­fie qu’elles sont divi­sées par 3.

 

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