-
Hervé Persain,
président du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège
Le mot du président
Fantasmes de l'universalisme
À travers l’histoire de l’humanité, la philosophie des lumières et les principes de la laïcité se sont opposés aux religions afin que nos sociétés se libèrent de l’obscurantisme et aux fins de brider et autant que possible réduire les tendances hégémoniques et totalitaires des Églises. Il s’agissait de combattre le règne de la terreur (de Dieu et de ses serviteurs) et de la pensée unique. De tout temps les religions ont pactisé avec le pouvoir, trouvant des alliés pour imposer un modèle de société ne souffrant aucune déviance. Si la religion occidentale a fini par arrondir les angles, ce ne fut pas par grandeur d’âme mais plutôt sous l’influence des idées républicaines de laïcité et par réalisme face à l’évolution des esprits et des connaissances.
Aujourd’hui cependant les mouvements religieux détournent à leur profit les principes de libre pensée – comme ont tendance d’ailleurs à le faire les caciques de la droite extrême ou du populisme – pour clamer leur droit à revendiquer leurs valeurs passéistes et imposer au monde entier les seuls modes de vie qu’ils jugent conformes à leur jugement.
Ainsi sur la question de la neutralité exigée vis-à-vis de l’affichage des signes d’appartenance aux religions et quant au port du voile en particulier, la religion islamique trouve des alliés dans certains milieux progressistes pour réclamer une approche tolérante à son égard qu’elle ne manifeste cependant pas à ses adeptes, spécialement les femmes. Suivant le principe du « Faites ce que je dis, pas ce que je fais », ils réclament une liberté qu’ils refusent à ceux, et surtout celles dont ils s’arrogent le droit de diriger la vie et de leur dicter leurs actes. On ne peut exiger la tolérance pour couvrir des stratégies intolérantes. Les principes de libre pensée et de liberté d’expression ne peuvent servir d’arguments pour asservir des êtres humains selon des modèles tribaux ou inspirés des réflexes réactionnaires, communautaires et identitaires. Ce procédé s’apparente à un hypocrite hold-up intellectuel.
L’Islam n’a cependant pas le monopole de la réaction. Aux États-Unis, et de plus en plus en Europe, l’Église catholique et ses dérivés suivent la même voie et n’hésitent pas à revenir aux recettes d’antan en utilisant l’action musclée, et même des actes criminels pour imposer leurs choix de vie à l’ensemble de l’humanité. Et si les pouvoirs publics, le monde judiciaire et le législateur apparaissent résignés face à ces stratagèmes, il est du devoir de la laïcité organisée, en Belgique, en Europe et dans le monde, de brandir son flambeau pour défendre la philosophie des Lumières, la prédominance de la raison sur les préjugés, les croyances, la superstition et la manipulation des esprits.
Est-ce un hasard si le durcissement des religions coïncide aujourd’hui avec le courant d’uniformisation mondialisée prôné par la nouvelle religion des temps modernes : la finance ? Un produit qui convient à tous peut se vendre à chacun. Et si tous sont identiques, les produits n’en seront que plus aisés à écouler. Tout comme les frontières des États ont tendance à s’élargir – alors que les revendications d’autonomies n’ont jamais été si nombreuses – le modèle de représentation des consommateurs tend à s’uniformiser et à se généraliser à un niveau planétaire. Mais l’actualité nous montre que le mondialisme galopant est loin de poursuivre des valeurs humanistes universalistes de liberté, d’égalité et de fraternité. Bien au contraire, c’est de mise entre parenthèses des richesses culturelles et humaines particulières qu’il s’agit, au bénéfice d’une pensée unique et donc plus facilement cernable et influençable en vue du conditionnement des consommateurs rendus dociles.
Aujourd’hui encore, le Vatican joue lui aussi la carte du pouvoir globalisant, chantant les louanges du système économique mondialisé, au mépris de ses effets dévastateurs sur les populations les plus pauvres1. Ces positions de l’Église catholique romaine, promulguées récemment urbi et orbi par son plus puissant mentor, ne sont pas surprenantes : à nouveau la religion choisit le camp du plus fort. Sans doute espère-t-elle en retirer les marrons du feu, profitant de l’aubaine pour mieux dicter au monde un mode de vie fidèle à ses commandements, et contribuant en cela à l’instauration d’un modèle de société unique, empreint d’universalisme – son fantasme de toujours !
- L’ode papale à la « bonne » économie par Serge Latouche, le Monde Diplomatique, août 2010, où l’auteur décortique l’Encyclique « Caritas in veritate », signée par Benoît XVI le 29 juin 2009