• Florence Evrard
    Cellule Etudes et Stratégies du Centre d'Action Laïque

De la charité à la solidarité

Histo­ri­que­ment, les pratiques de don et d'entraide sont progressi­vement passées de la charité à la soli­da­rité en passant par la philan­thro­pie. Des concepts diffé­rents se sont ainsi forgés. Voici un rapide tour d'horizon de ces notions …

La charité

Le terme vient du latin « cari­tas » et est défini comme « l'amour de Dieu et l'amour du prochain en vue de Dieu ». Dans l'encyclique « Cari­tas in Veri­tate » de 2009, Benoît XVI la décrit comme « ( … ) la voie maîtresse de la doctrine sociale de l'Eglise » et comme l'« annonce de la vérité de l'amour du Christ dans la société ». La réfé­rence à Dieu est donc pri­mordiale. L'acte d'entraide n'est pas effec­tué seule­ment pour autrui mais d'abord pour être aimé ou récom­pensé de Dieu.

La charité a ainsi été long­temps une manière pour le dona­teur d'échanger ses biens terrestres contre les délices du panra­dis. Ainsi, pendant tout le Moyen-Age, s'est mise en place une écono­mie du salut où le riche et le pauvre trou­vaient leur profit 1. La cha­rité était un moyen de stabi­li­sa­tion de l'ordre divin. Il s'agissait de corri­ger les inéga­li­tés sociales, non de les pré­venir ou de les suppri­mer. La pauvreté était donc trai­tée comme un effet.

La charité a ainsi été long­temps une manière pour le dona­teur d'échanger ses biens terrestres contre les délices du panra­dis. Ainsi, pendant tout le Moyen-Age, s'est mise en place une écono­mie du salut où le riche et le pauvre trou­vaient leur profit 1. La cha­rité était un moyen de stabi­li­sa­tion de l'ordre divin.

Si la charité n'a pas voca­tion à ap­porter de solu­tion struc­tu­relle, c'est aussi parce que, en tant qu'initiative privée, elle a un carac­tère aléa­toire et est inéga­le­ment répar­tie. En effet, par exemple, quand je donne de l'argent à un mendiant, je donne ponctuelle­ment à te/ mendiant et non à tel autre qui, de façon injuste, ne béné­fi­cie pas de mes largesses.

La philan­thro­pie, une charité laïcisée

La philan­thro­pie naît à la veille de la Révo­lu­tion fran­çaise et se déve­loppe dans le courant du XIXe siècle. Ety­mologiquement, le terme signi­fie l'« amour de l'homme ». Les philo­sophes des Lumières ont forgé ce terme pour disso­cier l'amour des hommes de l'amour de Dieu. Pour aider son prochain, il ne faut plus en passer par Dieu. L'homme est défini comme un être social, porté vers ses semblables par une affec­tion innée.

S'il n'y a plus de réfé­rence à Dieu, la pratique reste sensi­ble­ment la même. Il existe toujours un déséqui­libre dans la rela­tion du donneur et du rece­veur. Les créa­teurs des Socié­tés philan­thropiques sont des indus­triels, des banquiers ou des hauts fonction­naires. Leur action est pater­na­liste et mora­li­sa­trice. Il s'agit d'éduquer le pauvre et de lui apprendre l'épargne et la prévoyance. On ne remet pas en ques­tion la Révo­lu­tion Indus­trielle et les dégâts qu'elle a provo­qués. On se contente de panser les bles­sures comme le faisait la charité.

La soli­da­rité

Avec la divi­sion du travail liée à la Révo­lu­tion indus­trielle, l'interdépen­dance entre les hommes devient fla­grante. Durkheim appel­lera d'ailleurs « orga­nique » cette soli­da­rité basée sur l'interdépendance des rôles et des fonctions.

Sous l'inspiration de l'idée de solida­rité, vont s'organiser les coopé­ra­tives et les mutuelles où chaque membre contri­bue à la caisse commune. C'est sur ce même prin­cipe, (l'assurance plutôt que l'assistance) que vont se construire les systèmes de sécu­rité sociale. On parlera d'Etat-providence avec l'idée de substi­tuer à l'incer­titude de la provi­dence reli­gieuse la certi­tude de la provi­dence étatique.

La « soli­da­rité » n'appartient dès lors plus au registre du senti­ment (comme dans la charité ou la philan­thro­pie) mais relève de la néces­sité. On ne parle plus d'amour mais d'obligation. C'est dans ce but que Pierre Leroux (1797–1871 ), penseur socia­liste, a, le premier, sorti le terme du registre juri­dique (où on parle de soli­da­rité entre les débi­teurs ou les créan­ciers quand ils répondent ensemble de la dette) et l'a forgé poli­ti­que­ment en l'éloignant de la notion de vertu, par essence aléa­toire dans son exis­tence et dans sa concrétisation.

A sa suite, Léon Bour­geois (1851- 1925) va propa­ger la notion grâce à son livre inti­tulé « Soli­da­rité » (1896). Il la lie à l'idée de dette sociale. L'indivi­du isolé n'existe pas et, dès qu'il naît, il profite d'un héri­tage social, écono­mique et cultu­rel que les géné­ra­tions passées lui ont légué. Il contracte donc envers la société une dette dont il doit s'acquitter en appor­tant à son tour sa contri­bu­tion à la société et ce, qu'il soit riche ou pauvre. Avec la soli­darité, il n'y a donc plus cette rela­tion dissy­mé­trique entre donneur et rece­veur. On passe de la dépen­dance à l'interdépendance.

Sous l'inspiration de l'idée de solida­rité, vont s'organiser les coopé­ra­tives et les mutuelles où chaque membre contri­bue à la caisse commune. C'est sur ce même prin­cipe, (l'assurance plutôt que l'assistance) que vont se construire les systèmes de sécu­rité sociale. On parlera d'Etat-providence avec l'idée de substi­tuer à l'incer­titude de la provi­dence reli­gieuse la certi­tude de la provi­dence étatique. La soli­da­rité se lie ainsi à une poli­tique de redis­tri­bu­tion des richesses qui, contrai­re­ment aux pratiques ca­ritatives et philan­thro­piques, se veut géné­rale, systé­ma­tique, égali­taire et permanente.

Reste aujourd'hui à penser comment réac­tua­li­ser cet idéal dans le contexte de la crise de l'Etat-providence …

  1. Robert Castel, Les méta­mor­phoses de la ques­tion sociale, 1995.
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