• Dominique Dauby
    Dominique Dauby
    secrétaire générale des Femmes prévoyantes socialistes

Criminaliser la solidarité, déshumaniser le monde

En 2009, l’« Obser­va­toire pour la protec­tion des défen­seurs des droits de l’Homme » (créé en 1997 par la Ligue Inter­na­tio­nale des Droits de l’Homme (LIDH) et par l’Organisation Mondiale contre la Torture (OMCT) publiait son rapport annuel et un rapport sur la stig­ma­ti­sa­tion, la répres­sion et l’intimidation des défen­seurs des droits des migrants en France. Une double publi­ca­tion qui mérite la plus grande atten­tion parce qu’elle confirme ce que, ici et là, nombre de femmes et d’hommes dénoncent : la crimi­na­li­sa­tion de la soli­da­rité, sous toutes ses formes.

Souhayr Belhas­sen, prési­dente de la LIDH, et Eric Sottas, secré­taire géné­ral de l’OMCT soulignent dans le premier rapport que « la hausse des mécon­ten­te­ments sociaux liés à la crise écono­mique mondiale a accru la répres­sion enre­gis­trée ces dernières années. Inver­se­ment propor­tion­nelle à la chute des bourses, l’inflation des pratiques et des lois liber­ti­cides en matière de contrôle du corps social est l’un des traits saillants des diffi­cul­tés rencon­trées par les défen­seurs des droits de l’Homme en 2008. (…) La crimi­na­li­sa­tion de la protes­ta­tion sociale s’est ainsi inten­si­fiée, touchant de plus en plus de pays dits démo­cra­tiques. » En France, en Espagne, en Irlande et en Belgique, dispo­si­tions régle­men­taires ou légis­la­tives, prises de paroles publiques discré­ditent, entravent les acti­vi­tés de défense des personnes migrantes.

Ainsi, le 24 juillet 2008, Anne­mie Turtel­boom, Ministre de la poli­tique de migra­tion et d’asile décla­rait ouver­te­ment « on ne peut pas inter­dire aux gens de faire une grève de la faim au moyen d’une loi mais je vais voir comment respon­sa­bi­li­ser ceux qui entourent et conseillent les deman­deurs d’asile ». L’année précé­dente, le Ministre de l’intérieur Patrick Dewael, affir­mait déjà que toute aide appor­tée aux illé­gaux serait punie par la loi. Il y a une dizaine d’années, des militants/es de collec­tifs de soutien aux sans-papiers étaient condam­nés à des peines de prison, de huit jours à deux mois, assor­ties d’un sursis d’un an, pour avoir mani­festé, sans violence, leur soli­da­rité avec les deman­deurs d’asile et les sans-papiers. Aujourd’hui, d’autres militants/es sont pour­sui­vis pour avoir occupé le hall du Commis­sa­riat géné­ral aux réfu­giés et aux apatrides (CGRA ) en soli­da­rité avec des deman­deurs d’asile afghans et pour avoir chahuté le lance­ment de campagne des libé­raux euro­péens en avril 2009. En France, des asso­cia­tions, par ailleurs finan­cées par les pouvoirs publics, voient leur mandat réduit : elles peuvent infor­mer, mais la défense des migrants en séjour illé­gal est remise en ques­tion. Des personnes appor­tant une aide huma­ni­taire (alimen­ta­tion, accès à une douche,…) reçoivent des menaces à peine voilées émanant des forces de l’ordre.

En France comme en Belgique, il s’agit d’intimider les femmes et les hommes qui résistent, pour qui la soli­da­rité est vie concrète, ici et main­te­nant. Des femmes et des hommes qui ne viennent pas seule­ment en aide à l’un ou l’autre, ce qui en soi mérite le respect, mais s’estiment concer­nés par celles et ceux avec qui ils sont en lien, parce que vivant dans le même monde, la même réalité. Et c’est là que ça dérange. Qui oserait en effet s’afficher contre le prin­cipe de soli­da­rité ? Personne dans un pays démo­cra­tique, pas même celles et ceux qui pour­tant la condamnent à coup de règle­ments et décla­ra­tions péremp­toires… sans jamais la citer comme telle.

Ligues des droits de l’Homme et syndi­cats en tête, nombreuses sont les asso­cia­tions qui appellent à la vigi­lance, esti­mant que mani­fes­ter sa soli­da­rité est un devoir et qu’il appar­tient à l’état et à ses représentants/es d’en permettre l’exercice. En cela, elles ne se préoc­cupent pas seule­ment des « profes­sion­nels » dont les missions sont de plus en plus souvent entra­vées, mais aussi des citoyen/nes non orga­ni­sés qui se rassemblent autour d’une personne, d’une situa­tion, ceux-là mêmes qui se retrouvent devant les tribu­naux… parce que plus vulnérables ?

Comme le dit Miguel Bena­sayag, « Dans un mouve­ment de soli­da­rité on crée un senti­ment réci­proque plus élevé, de la possi­bi­lité d’une vie meilleure ». Autre­ment dit, dans la soli­da­rité, on se donne les moyens de chan­ger les rapports entre les humains, de chan­ger la vie. Nos vies. Crimi­na­li­ser la soli­da­rité, c’est empê­cher ce chan­ge­ment radi­cal. De la capa­cité de résis­ter à ces tenta­tives de déshu­ma­ni­sa­tion, d’isolement, le monde asso­cia­tif témoigne tous les jours, dans les quar­tiers, les groupes de femmes, les groupes de jeunes, à travers des projets collec­tifs, créa­tifs. Oui, nous reste­rons soli­daires, il y va de notre bonheur à vivre, ensemble, dans un monde à transformer.

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