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Yaël Nazé,
astrophysicienne et maître de recherche FNRS à l’Université de Liège.
La démarche scientifique : des faits, rien que des faits
Yaël Nazé est astrophysicienne et maître de recherche FNRS à l’Université de Liège. Elle enseigne également la démarche scientifique et l’initiation à l’esprit critique. Elle nous parle de l’importance de cette méthode qui reste la plus efficace pour obtenir des informations fiables.
Salut & Fraternité : Qu’est-ce que la démarche scientifique ?
Yaël Nazé : Le sujet est très vaste : c’est l’ensemble des méthodes qu’utilisent les scientifiques pour explorer le réel, qui repose sur certains piliers. L’idée est d’observer le réel, le mesurer le mieux possible, tenter de comprendre ce qui s’y passe, et prévoir ce qui pourrait s’y passer à l’avenir. Grâce à cette méthode, le chercheur émet des hypothèses, va les mettre à l’épreuve par des expériences, puis comparer le résultat de son travail avec le reste de la communauté scientifique, qui pourra pointer du doigt les erreurs possibles ou mettre à son tour les conclusions à l’épreuve. Ce n’est pas une recette de cuisine à suivre à la lettre : sur le terrain, la méthode exacte dépend du type de question que l’on se pose, bien sûr. La recherche sur les comportements humains ne se fait pas de la même façon que la recherche sur le comportement des corps célestes. Toutes ces recherches sont également en interaction et en évolution continuelles. Les savoirs scientifiques ne sont pas figés, et la démarche scientifique demande aussi de la créativité.
S&F : Sur quoi repose sa légitimité ? Pourquoi les chercheurs l’utilisent-elle ?
Y.N. : Parce qu’au fil du temps, on s’est rendu compte que c’était la méthode la plus pertinente pour obtenir une information fiable sur le réel. Observer ne suffit pas : il faut cadrer cette observation, la mettre à l’épreuve, vérifier, comparer ses notes avec les autres… C’est contraignant, mais ça reste la façon la plus efficace que nous connaissons d’obtenir des informations fiables.

S&F : Quelles sont les limites de cette méthode ?
Y.N. : La méthode scientifique répond à des questions sur la réalité de ce qui se passe. Que la question soit physique, psychologique, sociologique, qu’importe. Dans tous les cas, on travaille sur les faits. Cependant, si vous cherchez à savoir ce qui est juste, ou ce qui vous plaît, des choses qui tiennent de la sensibilité personnelle, on sort du cadre. Elle est aussi limitée par ceux qui l’appliquent, d’une certaine façon. La science, en principe, tend à être objective mais elle est faite par des humains. Et nous avons tous nos limites, nos œillères, nos défauts… Un scientifique aussi peut être maladroit ou malhonnête.
S&F : Quels sont les gardes-fous de la méthode ? Comment l’empêche-t-on d’être manipulée, instrumentalisée, distordue, sabotée… ?
Y.N. : Les garde-fous, ce sont les gens qui font la science qui les placent. Comme je le disais, un scientifique aussi peut être maladroit ou malhonnête, parce qu’il est humain. Des erreurs et des informations volontairement fausses peuvent entrer dans le système. Mais la méthode scientifique se corrige d’elle-même, quand elle est appliquée précisément et de bonne foi. La recherche est quelque chose de collectif : toute expérience fait référence à toutes les expériences précédentes, et la méthode demande de partager et de faire reproduire ses résultats par d’autres. Au bout d’un temps, on devrait se rendre compte que l’on s’est trompé, ou que l’on a été trompé. Mais ça prend du temps : cela peut prendre des années, des décennies ou des siècles pour que l’on repère l’erreur et que l’on corrige le résultat. Regardez les saignées médicales, ou le modèle héliocentrique.
S&F : La science peut-elle être neutre ? De quelle façon ?
Y.N. : La méthode scientifique est faite pour rendre des résultats objectifs si on la respecte. C’est le but de la méthode : obtenir de l’information qui ne dépend pas de celui qui fait l’expérience. Mais la culture, les préjugés des chercheurs peuvent parasiter cet objectif. Leurs intérêts personnels, politiques ou financiers aussi. Pensez au colonialisme, qui « prouvait » que les colons étaient d’une nature supérieure aux colonisés. C’était à une certaine époque une vérité scientifique chez nous, mais elle ne correspondait pas à la réalité. Certains se dédouanent des méthodes utilisées, également. Werner von Braun, dont le but était l’exploration spatiale, a été financé par l’Allemagne nazie. Ses premières fusées ont été construites dans des camps de concentration et utilisées comme des armes de guerre. Il le savait très bien. Même si les Américains l’ont recruté pour le programme Apollo et ont blanchi sa réputation, il avait malgré tout une responsabilité dans cette affaire. Même si la méthode est collective, chaque scientifique est responsable de ses recherches.
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