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Marjorie Lelubre,
sociologue et coordinatrice du Centre de recherche de Bruxelles sur les inégalités sociales (Crebis.be).
Le logement, pilier fondamental de la lutte contre le sans-abrisme
Le 29 octobre 2020, le dénombrement mené dans la ville de Liège avait permis de comptabiliser 500 personnes, dont 27,7 % de femmes et 78 enfants, comme étant en situation de sans-abrisme ou d’absence de chez soi1.
Le 9 novembre 2020, un même exercice permettait d’identifier, en Région de Bruxelles-Capitale, 5 113 personnes, dont 933 mineurs et 20 % de femmes, en situation de sans-abrisme ou d’exclusion du logement. En 2014, elles étaient 3 147 personnes2.
Face à l’amplification du phénomène, qui semble désormais constante, il importe de comprendre les réalités vécues par ces personnes. Tout particulièrement, les nombreux obstacles qui se dressent devant elles et les professionnels de terrain qui tentent de leur apporter l’accompagnement nécessaire. Si le sans-abrisme ne peut se résumer à la simple absence de logement, les problématiques rencontrées par les personnes étant souvent complexes et imbriquées, il est sans conteste que le logement constitue l’un des piliers fondamentaux pour mettre fin à cette question.
On peut dater la genèse du sans-abrisme en tant qu’objet de politique publique dès le début des années 1990. Depuis lors, force est de constater que le traitement public de cette question est cantonné à une perspective sociale, laissant de côté la question du logement. Il s’agit de traiter des carences individuelles, plutôt que d’en considérer les causes structurelles. À l’heure actuelle, le secteur de l’aide aux personnes sans-abri, compétence régionale, demeure dans le giron de l’action sociale et non du logement.
Depuis une dizaine d’années, un nouveau paradigme s’est fait jour dans la lutte contre le sans-abrisme, avec l’arrivée en 2013, en Belgique, des projets Housing First. Ce paradigme part d’un constat simple mais jusqu’alors peu ou pas appliqué : le logement doit être la base de tout projet de réinsertion et non le Saint Graal obtenu après un laborieux parcours au sein de multiples structures d’hébergement. Un parcours long et sinueux que déplorent les premiers concernés et les professionnels qui les accompagnent. Ce procédé se justifie non pas en raison des difficultés sociales que peuvent rencontrer les personnes, mais surtout en raison d’un manque d’accès criant au logement. Développé aux USA par Sam Tsemberis dans les années 1990, le Housing First est largement repris au Canada et dans de nombreux pays d’Europe par la suite. Il vise à permettre aux personnes sans-abri, y compris et peut-être même surtout aux personnes ayant le plus de difficultés, notamment en raison de troubles de santé mentale et/ou d’addictions, d’accéder à un logement comme première étape de leur réinsertion. Il ne s’agit plus de montrer que l’on fait preuve d’autonomie pour accéder à un logement mais de s’appuyer sur le logement pour construire cette autonomie. Cette mise en logement est alors soutenue par un accompagnement intensif et pluridisciplinaire. Le locataire paie son loyer et dispose des mêmes droits que tout autre locataire. D’abord déployée en Belgique à titre expérimental, cette approche a désormais largement fait ses preuves. Le secteur reste pourtant majoritairement structuré autour du paradigme de l’urgence et de l’hébergement temporaire.
Il importe que le secteur continue d’offrir des modalités de prise en charge variées pour répondre aux différentes formes de sans-abrisme et d’exclusion du logement – une femme victime de violences conjugales devant abandonner son logement en urgence ou un jeune homme présentant des problématiques d’assuétude et vivant en squat n’ayant évidemment pas besoin du même type de prise en charge. Toutefois, travailler à garantir l’accès au logement demeure un point névralgique pour tenter de mettre fin au sans-abrisme.
Actuellement, de trop nombreuses personnes séjournent plus longtemps que nécessaire en foyer d’hébergement faute de trouver un logement, empêchant d’autres personnes dans le besoin d’accéder à ce type de structures. Les dispositifs Housing First déplorent l’énergie mise à trouver du logement, faute d’un accès plus aisé, au détriment de l’accompagnement offert. Dans les grandes villes de notre pays, les hébergements d’urgence sont très souvent saturés, obligeant de trop nombreuses personnes à faire de l’espace public leur lieu de vie. Aussi, sans travailler à l’accès à un logement digne et de qualité notamment en fixant des barèmes clairs quant aux loyers pratiqués et en investissant massivement dans une politique de rénovation du bâti, il semble impossible d’envisager que le secteur de lutte contre le sans-abrisme puisse pleinement jouer son rôle et ainsi, mettre véritablement fin au sans-abrisme.
- Source : Dénombrement du sans-abrisme & de l’absence de chez soi – Rapport local – Liège
- Sources : Dénombrement des personnes sans-abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale 2020 et Rapport du dénombrement 2022 par Bruss’help