• François Ghesquière
    François Ghesquière
    chercheur à l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS).

La précarité énergétique, un phénomène social complexe

La précarité énergétique est particulièrement importante en Wallonie. Il s’agit de la région belge la plus touchée par ce phénomène. Par exemple, en 2023, 11,3 % de la population wallonne déclare devoir faire face à des difficultés financières pour chauffer correctement son logement, contre 2,3 % en Flandre et 10 % à Bruxelles. Cette position de la Wallonie est surprenante, car pour la plupart des autres indicateurs de précarité ou de pauvreté, c’est Bruxelles qui se situe dans la position la plus défavorable.


Au croisement des questions sociale et écologique, la précarité énergétique est une thématique qui fait l’objet de nombreux débats politiques et médiatiques actuels : réductions des émissions de gaz à effet de serre, aides à la rénovation énergétique par des primes et des prêts, discussions autour des prix de l’énergie. Souvent, mais parfois implicitement, le schéma causal suivant est avancé : les plus pauvres habiteraient des logements pas ou peu isolés thermiquement, appelés « passoires énergétiques » ; par conséquent, ils auraient des factures d’énergies élevées ; ce montant élevé combiné à leur faible revenu impliquerait que les dépenses d’énergie occuperaient un poids important dans leur budget total ; cette part élevée conduirait à de la précarité énergétique.

(…) Tant la rénovation énergétique que la lutte contre la sous-occupation nécessitent de prendre en compte la dimension sociale du logement.

Cependant, la réalité sociale du phénomène de précarité énergétique est plus complexe. En effet, le montant absolu des dépenses dépend plus de la taille du logement que de la qualité de son isolation. Par conséquent, les ménages aisés (qui habitent dans de grands logements bien isolés) ont des dépenses en énergie légèrement plus élevées que les ménages pauvres (qui habitent des petits logements mal isolés). En outre, les ménages pauvres se privent plus souvent d’énergie (et ont donc plus souvent froid), en particulier quand ils habitent des passoires énergétiques ; ce qui diminue aussi leurs dépenses.

On observe que le profil des ménages qui ont des dépenses en énergie élevées, représentant une part importante de leurs revenus, diffèrent nettement des ménages qui se privent d’énergie, c’est-à-dire qui renoncent à chauffer correctement leur logement pour des raisons financières. Parmi les premiers, on retrouve principalement des couples de pensionnés propriétaires d’un grand logement. Ils ont fini de payer l’emprunt hypothécaire, leurs enfants sont partis et ils peuvent se permettent des dépenses en énergie plus importantes. S’ils ne sont pas particulièrement aisés, ils ne sont pas pauvres non plus. Au contraire, ceux qui se privent sont plus nettement caractérisés par la précarité : on y retrouve plutôt des ménages pauvres qui louent un petit logement de faible qualité.

© Bruno Guerrero – Unsplash.com

Par conséquent, il est nécessaire de nuancer le schéma causal évoqué plus haut. Si la rénovation énergétique permet de lutter contre la privation énergétique – car à niveau de vie équivalent les ménages vivant dans une passoire énergétique se privent plus d’énergie que les autres –, elle ne semble pas très efficace pour réduire les dépenses d’énergie – car le fait de vivre dans une passoire énergétique ne semble pas avoir d’influence directe sur le montant de dépenses d’énergie. Une réduction des dépenses d’énergie passe plutôt par une lutte contre la sous-occupation des logements, notamment chez les couples âgés dont les enfants ont quitté la maison familiale. ­

Cependant, tant la rénovation énergétique que la lutte contre la sous-occupation nécessitent de prendre en compte la dimension sociale du logement. En effet, les logements de mauvaise qualité sont souvent occupés par des locataires. Or, ce n’est pas aux locataires, mais aux propriétaires de réaliser les travaux de rénovation. En outre, si le bailleur rénove le logement, le loyer risque d’augmenter ; ce qui peut in fine être défavorable au locataire. On peut également se demander si c’est le rôle des pouvoirs publics de financer les bailleurs. Même si les aides à la rénovation constituent un outil intéressant pour aider les propriétaires peu aisés occupant une passoire énergétique, cela ne concerne qu’une fraction réduite des propriétaires et ne s’applique pas à une grande partie des logements de mauvaise qualité. Concernant la sous-occupation chez les propriétaires âgés, elle tient (en partie) au fait que ceux-ci utilisent gratuitement leur logement et n’ont pas vraiment d’incitant – financier ou autre – à déménager. En outre, il y a certainement une dimension affective – envers un logement où ils ont résidé pendant de nombreuses années – à prendre en compte.

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