• Hugo Périlleux
    Hugo Périlleux
    chercheur au Laboratoire de géographie à l'Université Libre de Bruxelles.
Propos recueillis par Arnaud Leblanc

Face à la crise du logement, il est temps de réguler les loyers !

Hugo Périlleux est économiste, géographe et chercheur dans le laboratoire de géographie à l’Université Libre de Bruxelles. Il effectue des analyses quantitatives et observe avec attention l’évolution des loyers dans la capitale et en Wallonie.

Salut & Fraternité : Quel est le poids du prix des loyers pour les ménages dans notre pays ?

Hugo Périlleux : En Belgique, alors qu’une majorité des ménages sont propriétaires de leur logement, environ 60 % sont locataires dans des villes comme Bruxelles, Namur, Liège ou Charleroi. La question de l’ampleur des loyers y est donc particulièrement sensible, d’autant plus que les agglomérations accueillent souvent une population plus précaire qu’en périphérie. Par ailleurs, selon les données de l’Observatoire des loyers de Bruxelles sur ces dix dernières années, les loyers y ont augmenté de près de 20 % de plus que l’indexation des salaires.

© Erik House – Unsplash.com

S&F : Quel est l’impact de ce coût sur l’offre de logement ?

H.P. : Le prix de la location pèse donc particulièrement lourd dans le budget des ménages. Les loyers à Bruxelles représentent aujourd’hui 40 à 45 % du budget global pour les 25 % les plus pauvres. En Wallonie, ce pourcentage est légèrement inférieur et plutôt autour de 35-40 %. Parmi les conséquences les plus violentes, il y a les expulsions. Des collègues ont compté qu’il y avait en moyenne 11 expulsions par jour décrétées par un juge à Bruxelles. On constate aussi que les ménages les plus pauvres sont très souvent dans des situations de suroccupation.

Certaines recherches récentes montrent aussi que les personnes les plus pauvres sont contraintes d’aller habiter en périphérie proche comme à Zaventem ou à Alost mais aussi vers d’autres villes comme Charleroi, pour trouver un loyer plus abordable. Et on constate, en marge des quartiers populaires, des processus de gentrification. Des ménages plus aisés viennent s’installer et remplacent la population initiale en entraînant une augmentation des loyers.

S&F : Quelles sont les réponses des autorités à cette situation ?

H.P. : Les pouvoirs publics ne répondent pas du tout de façon satisfaisante à l’augmentation de la demande. L’offre de logements sociaux, par exemple, ne correspond pas du tout aux besoins. Ainsi, la liste d’attente à Bruxelles ne fait qu’augmenter. On a dépassé les 50 000 ménages sur la liste d’attente. Il y a plus de ménages inscrits sur liste d’attente que de ménages occupants les logements sociaux de la région !

S&F : D’autres solutions sont-elles proposées ?

H.P. : Il existe bien des politiques de promotion du logement alternatives. On peut citer les agences immobilières sociales (AIS). Elles permettent à des propriétaires privés d’y souscrire pour mettre leur logement à disposition. L’agence reçoit un subside public qui permet de proposer des loyers en dessous des prix du marché et de verser une rémunération acceptable au bailleur. Mais les prix pratiqués y sont quand même supérieurs aux prix des logements sociaux et cette solution ne permet pas de retours financiers, ni de réinvestissement les loyers perçus dans le parc immobilier. Le système des AIS, c’est un robinet d’argent qui coule sans arrêt dans la poche des propriétaires.
On cite souvent aussi l’effet bénéfique de contraindre la limitation des augmentations de loyers. Ce fut le cas pendant de fortes inflations. En Wallonie et à Bruxelles, les autorités ont mandaté des organismes comme le nôtre pour construire une grille des loyers de référence basée sur les prix du marché afin de freiner l’augmentation, mais sans la contraindre. C’est intéressant mais c’est clairement insuffisant. Premier écueil : la référence utilisée est basée sur une médiane du marché, qui est de fait plutôt élevée. Cela signifie que les pouvoirs publics essayent de réguler les prix du marché par le marché lui-même. Autant dire que peu de logements dépassent cette référence et que ceux qui la dépassent le font de façon limitée. Deuxième problème : ce sont les locataires qui doivent entamer les démarches pour solliciter une baisse de loyer. Vu le contexte tendu et la difficulté de trouver un logement, peu de locataires se saisissent du système et souvent, celles et ceux qui le font n’obtiendraient pas grand-chose. C’est pourquoi notre centre d’étude suggère plutôt d’utiliser une autre référence que celle du marché, par exemple de se baser plutôt sur les coûts réels de propriétaires ou à tout le moins aller en dessous du prix du marché. Il nous semble aussi important qu’il puisse y avoir un tiers intervenant pour dialoguer avec les propriétaires. Un fonctionnaire pourrait prendre ce rôle. Il contrôlerait l’adéquation des loyers avec la grille de référence et il interviendrait directement auprès des propriétaires.

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