• Lionel Rubin
    Lionel Rubin
    directeur adjoint de la cellule Études & Stratégies du Centre d’Action Laïque

Droit au logement, droits et logement

« Solde insuffisant : le choix de qui ? ». Cette question qui traverse la campagne d’éducation permanente 2024 du Centre d’Action Laïque repose en réalité sur un double questionnement : une personne précarisée choisit-elle sa situation ? Et les pouvoirs publics se donnent-ils réellement les moyens de lutter contre la pauvreté ? À cet égard, la question du logement est centrale, tant elle détermine la capacité des personnes vulnérables à entamer ou non un chemin de sortie vers des conditions dignes.


À travers cette campagne, le Centre d’Action Laïque entend tordre le cou aux stéréotypes et amalgames qui font d’une personne vulnérable un sujet en pleine possession de ses moyens pour poser des choix éclairés et exercer ses droits. Est-ce réellement un choix d’être allocataire social, travailleur·euse pauvre, étudiant·e au statut précaire, mère célibataire ou encore réfugié·e ? Quant à l’autre bout de la chaîne, vouloir « responsabiliser » ou « rendre actives » ces personnes vulnérables apparaît comme un renversement de situation qui atténue la responsabilité collective et politique du risque de déclassement et d’exclusion sociale.

Les pouvoirs publics se donnent-ils réellement les moyens de lutter contre la pauvreté ? © Clément Falize – Unsplash.com

Pour le Centre d’Action Laïque, l’enjeu démocratique est intimement lié à la question de la cohésion sociale. Comment en effet exercer pleinement ses droits dans des conditions de vie précaires ? Comment par exemple prévoir une visite de contrôle chez le dentiste alors que son salaire permet à peine de joindre les deux bouts en fin de mois ? Comment exercer son droit constitutionnel à « l’épanouissement culturel et social » lorsqu’un ticket de cinéma est la somme qu’il reste pour terminer la semaine ? C’est qu’en réalité, le droit à un niveau de vie digne constitue un préalable indispensable à l’exercice d’autres droits fondamentaux. La justice sociale et la dignité humaine demeurent des conditions de l’émancipation laïque et donc d’un projet de société attaché au progrès social, ainsi qu’aux valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité.

Dans les faits, plus de deux millions de Belges, soit près de 20 % de la population, courent un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. C’est ce qui ressort des chiffres de la pauvreté pour l’année 2023 que Statbel, l’office belge de statistique, a publiés le 8 février 2024 sur la base de l’enquête sur les revenus et les conditions de vie1, et qui repose sur trois indicateurs clés : le risque de pauvreté sur la base du revenu, la privation matérielle grave et les ménages à très faible intensité de travail. Ces chiffres cachent par ailleurs de fortes disparités géographiques, avec une Flandre qui « limite » la casse à 10 %, alors que les chiffres de la Wallonie et de Bruxelles atteignent respectivement 25 et 35 %.

(…) Dans les faits, plus de deux millions de Belges, soit près de 20 % de la population, courent un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale.

À cet égard, la question du logement est centrale. D’abord car le prix du logement, en particulier à Bruxelles, atteint des plafonds tels qu’il clive toujours plus les quartiers – voire les communes – entre riches et pauvres, mais aussi et surtout car la qualité du logement influe directement sur la vulnérabilité des habitants. C’est en effet sous un toit qu’on peut se poser et se protéger pour s’atteler à l’exercice de ses droits.

Encore faut-il que ce toit ne soit pas insalubre. Car en Belgique, qui compte un des parcs locatifs les plus vieux d’Europe, une personne sur cinq vit dans des conditions de précarité énergétique. À titre d’exemple, les logements sociaux wallons classés F (entre 330 et 420 kWh/m²/an) et G (+ de 420 kWh/m²/an) représentent 43 % du parc locatif. Ce sont ceux-là qu’on nomme « passoires énergétiques ». Ceux qui obtiennent les notes D (Entre 180 et 250 kWh/m²/an) et E (entre 250 et 330 kWh/m²/an) en constitue un tiers2. L’état de ces logements influe directement sur les conditions de santé des habitant·es, et donc sur leur vulnérabilité : avoir froid, vivre dans des conditions humides, dormir dans le bruit, souffrir de la chaleur…, ont des effets concrets sur la santé, en particulier celle des enfants et des plus âgés. Dans son dernier Thermomètre du Logement, Solidaris fait d’ailleurs état de ce lien entre mal-logement et santé : 13 % des personnes interrogées ont déjà connu des problèmes de santé liés à leur logement. 57 % de celles qui vivent dans un logement avec un très mauvais score ont ainsi déjà rencontré des problèmes cardiovasculaires (34 %), des problèmes respiratoires (50 %), des problèmes de santé liés à des accidents domestiques (28 %) et des problèmes de santé mentale (52 %). Ne parlons même pas des problèmes de santé rencontrés par les personnes qui vivent en grande partie dans la rue. Cette question du logement, indubitablement liée à celle de la santé, demeure donc essentielle pour permettre à chacun d’exercer ce droit fondamental à un logement décent, gravé au sein de l’article 23 de notre Constitution, mais aussi de profiter d’un « lieu sûr » permettant l’exercice d’autres droits ­fondamentaux.


  1. Le seuil de pauvreté s’élève en 2023 à 1450 euros pour une personne seule et à 3045 euros par mois pour un ménage de deux adultes et deux enfants.
  2. L’état du logement dans l’Europe en 2023

 

 

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