• Vincent Aerts
    Vincent Aerts
    assistant au sein du département de sciences politiques de l’ULiège.

Les élus locaux wallons ont-ils le blues ?

L’intérêt pour le « blues des élus » a débuté en novembre 2021, lorsque le député wallon Stéphane Hazée (Ecolo) cherche à obtenir des informations chiffrées sur le nombre de démissions et de remplacements intervenus dans les conseils et collèges communaux sur la législature en cours. Au sein de l’Institut de la décision publique de l’Université de Liège, nous avons voulu comprendre ces abandons, ces fins prématurées de mandat. Nous nous sommes saisis en 2022 de cette problématique en choisissant de contacter directement des élus démissionnaires afin de comprendre ce blues des élus aux conséquences radicales.

Entre décembre 2018 et janvier 2022 (à mi-mandat), sur les 7 020 mandats validés lors des conseils d’installation, 691 ont connu une fin prématurée pour cause de démission. Nous nous sommes donc tournés vers ces démissionnaires pour comprendre en profondeur les raisons de leur abandon.

Celles-ci peuvent être variées et renvoient régulièrement à une histoire personnelle vécue par l’élu démissionnaire comme unique. Nous pouvons cependant souligner trois clés d’analyse permettant d’appréhender ces retraits : la professionnalisation inachevée au niveau communal, la fatigue démocratique vécue par les élus locaux et l’emprise particratique sur leurs parcours.

© Andrik Langfield – Unsplash.com
La vie de personne élue ou engagée en politique n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Nombreuses sont les raisons qui peuvent engendrer une forme de découragement.

De nombreuses démissions sont liées à un manque de temps et révèlent une professionnalisation inachevée de la politique communale : faire de ce niveau de pouvoir politique un vrai métier. En effet, les élus jonglent entre vie politique, vie professionnelle et vie privée/familiale dans un équilibre souvent précaire donnant lieu à de nombreux abandons. Sur ces points, les femmes sont les plus concernées par une organisation du pouvoir politique ne prenant que très peu en compte la question de la parentalité, dont les tâches sont malheureusement toujours principalement déléguées aux femmes. D’un autre côté, certains élus communaux font de la politique leur activité principale, leur départ du conseil communal étant souvent le résultat de l’obtention d’un nouveau mandat dans un autre lieu de pouvoir.

Ensuite, de nombreux élus expriment une forme de dégoût lié à la vie politique. Les dynamiques interpersonnelles conflictuelles avec les autres membres du conseil communal constituent un élément récurrent dans l’explication d’une démission. Au niveau local, les élus se connaissent personnellement et lorsqu’ils ne s’apprécient pas, ils peuvent parfois se faire la guerre, mettre la pression sur leurs adversaires, les harceler et les pousser à jeter l’éponge. Harcèlement domiciliaire, violence verbale, intimidation, dégradation de biens privés sont autant de pratiques conflictuelles entre élus pouvant mener à la renonciation. La crise de la covid-19 et la captation vidéo des conseils communaux n’a pas aidé et a encouragé une forme de politique spectacle, poursuivie en dehors du conseil communal par l’intermédiaire des attaques virulentes sur les réseaux sociaux. Un sentiment d’impuissance ressenti par les conseillers de l’opposition s’ajoute à ce désenchantement de la vie politique vécu depuis l’intérieur, symptôme d’une fatigue démocratique pouvant engendrer des épuisements ou des problèmes de santé et entrainant l’élu vers sa démission.

 (…) Entre décembre 2018 et janvier 2022 (à mi-mandat), sur les 7 020 mandats validés lors des conseils d’installation, 691 ont connu une fin prématurée pour cause de démission.

Enfin, l’analyse des causes des démissions a fait ressortir l’emprise des dynamiques partisanes dans les trajectoires personnelles des femmes et hommes politiques au niveau communal. De nombreuses démissions au sein du collège sont ainsi le fruit d’accords politiques entre différents groupes. Les dynamiques internes à chaque groupe politique peuvent pousser certains conseillers vers la sortie pour préserver un bon esprit d’équipe tandis que le départ à la retraite en cours de mandat pour passer le flambeau à la jeunesse du parti est un épisode récurrent.

Finalement, ce blues des élus culminant en démission nous rappelle que le mandat d’élu local se caractérise par une situation de professionnalisation inachevée, impliquant une non-professionnalisation de la majeure partie des mandataires. Bien que réputé libre, le mandat représentatif local comporte une dimension collective importante s’exprimant par l’appartenance géographique, familiale ou partisane. Le mandat d’élu communal est donc porté par un individu au sein d’un environnement local où les dynamiques personnelles et collectives jouent un rôle non négligeable sur le déroulement et la fin du mandat.

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