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Caroline Sägesser,
docteure en Histoire et chargée de recherches au Centre de Recherche et d’Information socio-politiques (CRISP)
Le financement des cultes, quelles responsabilités pour les communes ?
Les responsabilités des communes en matière de financement des cultes sont antérieures à la création de la Belgique.
C’est en 1809 qu’un décret impérial est venu organiser les fabriques d’église, structures ecclésiastiques mais aussi institutions publiques, chargées de l’administration des biens des paroisses catholiques1. Le décret de 1809 impose aux communes trois obligations financières : Premièrement, suppléer à l’insuffisance des revenus de la fabrique, pour les frais nécessaires au culte (couvrir le déficit, donc) ; deuxièmement, fournir au curé ou au desservant un presbytère ou autre logement convenable (ou à défaut de logement, une indemnité pécuniaire) ; et troisièmement, pourvoir aux grosses réparations des édifices affectés au culte, en cas d’insuffisance des revenus de la fabrique. Sur ce dernier point, toutefois, l’habitude s’est installée de mettre à charge de la commune toutes les grosses réparations, quels que soient les revenus de la fabrique ; la jurisprudence est venue confirmer cette pratique.
Les fabriques d’église ont traversé l’histoire de Belgique en ne subissant que peu de changements ; il en est de même pour les obligations des communes à leur égard.
Tout d’abord, le modèle de la fabrique d’église a été formellement étendu aux autres cultes reconnus par la loi sur le temporel du culte du 4 mars 18702. Les cultes protestant, israélite et anglican ont été dotés de structures administratives analogues. La loi de 1870 a également organisé la soumission des budgets et des comptes des fabriques et établissements assimilés aux conseils communaux. Toutefois, ces derniers se bornaient à constater la régularité de ces documents mais ne pouvaient pas les modifier ni refuser le soutien financier de la commune. Soulignons également que le bourgmestre ou son représentant faisait partie de droit du conseil de la fabrique. En revanche, lors de l’extension de la reconnaissance au culte islamique (1974), au culte orthodoxe (1985) puis à la laïcité dite organisée (2002), il a été décidé de ne pas organiser l’administration au niveau communal, mais bien provincial. La commune n’a donc aucune obligation financière à l’égard des mosquées, des églises orthodoxes ou des établissements d’assistance morale laïque.

Ensuite, la régionalisation de la loi communale en 2001 a emporté celle des fabriques d’église, ce qui signifie que dorénavant, ce sont les Régions (et la Communauté germanophone, suite à un transfert de compétences par la Région wallonne) qui sont compétentes pour régler les obligations des communes à l’égard des implantations locales des cultes. Les différentes entités fédérées ont adopté des décrets qui, jusqu’à une date récente, n’avaient que marginalement modifié les dispositions légales et règlementaires, et laissaient intactes les obligations des communes.
Plus récemment, des changements plus importants sont intervenus. Dans les trois Régions, les budgets et les comptes sont désormais soumis à l’approbation formelle du conseil communal, et non plus seulement à son avis. En outre, la Région de Bruxelles-Capitale a adopté une ordonnance (10 décembre 2021) qui transfère intégralement les obligations financières des communes à la Région ; par ailleurs, elle les limite, en plafonnant les interventions financières à 30 % des dépenses ordinaires de l’établissement (ou 40 % en cas de fusion de plusieurs établissements). Les obligations de fourniture d’un logement ou de financement des gros travaux deviennent supplétives, la Région ne devant fournir ces prestations qu’en cas d’incapacité de l’établissement à y pouvoir. En Wallonie, le décret du 13 mars 2014 a réorganisé la tutelle et
celui du 17 mai 2017 a doté la Région d’une procédure et de critères de reconnaissance des nouvelles implantations locales des cultes, mais les deux instruments ont laissé intactes les obligations financières des communes. Une réflexion s’est poursuivie durant la législature suivante, avec pour objectif d’adopter une réforme similaire au nouveau dispositif bruxellois, mais elle n’a pas abouti. Le monde politique regarde également du côté du Grand-Duché de Luxembourg, où une réforme approfondie d’un système initialement similaire au nôtre est intervenue, et a eu pour conséquence de réduire fortement le soutien financier aux cultes3.
Quelles sont les perspectives pour l’avenir ?
Dans un contexte où de nouveaux cultes réclament une reconnaissance (le bouddhisme, toutefois comme organisation philosophique non confessionnelle, l’hindouisme, le sikkisme, des Églises orientales…) mais également où le régime belge des cultes a été condamné par la Cour européenne des Droits de l’Homme (arrêt du 5 avril 2022), une réforme en profondeur du système semble de plus en plus nécessaire. Elle impacterait forcément les obligations communales, sans qu’il soit possible de déterminer dans quel sens. Il apparaît en tout cas qu’une forme de rationalisation, et de réduction des dépenses soit à l’ordre du jour, dans le contexte également d’une forte baisse de la pratique religieuse catholique et de la réaffectation d’édifices du culte de plus en plus fréquente. Le transfert de l’ensemble des charges financières à la Région, suivant l’exemple bruxellois, semble plus malaisé à suivre pour la Wallonie ; peut-être le rapatriement du financement de toutes les communautés convictionnelles au niveau provincial est-il la voie à suivre ?
- Sur l’histoire de la fabrique d’église, voir P. Wynants, « Les pouvoirs publics et les fabriques d’église en Belgique. Aperçu historique », Cahiers du CHIREL n°16, Wavre, 2012.
- À propos de cette loi, voir C. Sägesser, « Retour sur la loi du 4 mars 1870, pierre angulaire du régime des cultes belge », in Questions d’histoire de Belgique. Liber amicorum Paul Wynants, Bruxelles, Crisp/Université de Namur, 2022, pp.78-98.
- Sur les réformes, voir J.-F. Husson (éd.), Les fabriques d’église en Wallonie. Histoire, évolutions et perspectives d’avenir – édition 2023, Genval, Vandenbroele, 2023.
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