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Emilie Caspar,
chargée de recherche en neurosciences sociales et comportementales à l’ULB.
Religion et neurosciences
Durant des siècles, la religion et la science ont été mises en opposition. Suite à la théorie de l’évolution de Darwin qui a montré que l’homme était un animal parmi d’autres, ou suite aux travaux théoriques de Copernic qui a émis l’hypothèse que la Terre n’était pas au centre de l’univers, la foi religieuse s’en est trouvée ébranlée.
Plus récemment, grâce à l’essor des neurosciences et des techniques d’imagerie cérébrale et de neuro-modulation, il apparaît clairement que « corps » et « esprit » ne sont pas deux entités distinctes et que notre conscience n’est que le produit de l’activité cérébrale. Il n’y aurait donc pas d’âme immatérielle contrôlant notre corps. Et si maintenant les neurosciences montraient qu’il n’y avait rien de spécifique au fait de croire en Dieu au niveau neuronal et que le besoin de croire en une entité supérieure s’expliquerait en partie par un processus physiologique associé au circuit neural de la récompense ?
En 2016, une équipe de chercheurs américains a invité 19 mormons à passer un scanner en Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Il leur a été demandé d’appuyer sur un bouton au moment où ils ressentaient une « connexion avec le divin » (Ferguson et al., 2016). Les chercheurs ont constaté que plusieurs régions cérébrales étaient activées à ce moment-là, notamment les régions attentionnelles et le circuit dopaminergique de la récompense, qui correspond au centre du plaisir dans le cerveau. En 2008, Schjoedt et ses collègues avaient déjà montré que des chrétiens danois avaient une activité cérébrale plus forte au niveau du circuit de la récompense lorsqu’ils priaient en comparaison avec une condition dans laquelle ils ne priaient pas. Il semblerait donc que l’expérience religieuse produise un sentiment de récompense et de plaisir au niveau cérébral.
Il y a plusieurs années, un article du Times Magazine clamait que des scientifiques avaient découvert le « God spot » et que notre cerveau était équipé pour nous faire ressentir la foi religieuse, ce qui, indirectement, prouverait l’existence de Dieu. Ce raisonnement est bien entendu complètement erroné, puisqu’il repose sur le sophisme de l’affirmation du conséquent. Cela reviendrait à dire que puisque lorsque vous avez la grippe vous toussez, dans le cas où vous tousseriez à nouveau, cela signifierait que vous avez forcément la grippe. Or de nombreuses autres maladies peuvent causer une toux, tout comme une activité spécifique dans plusieurs régions cérébrales lors d’une expérience divine n’induit pas la preuve que Dieu existe : de nombreuses autres fonctions cognitives sont associées à ces activations. Par exemple, les régions cérébrales associées au circuit de la récompense et du plaisir sont également activées lorsque l’on ressent de l’amour – romantique ou maternel – , que l’on est en train d’écouter une musique que l’on aime, ou bien que l’on se retrouve dans un état euphorique à la suite de la prise de drogue. Cela expliquerait par ailleurs pourquoi autant d’individus apprécient de croire en une entité supérieure divine : le sentiment de connexion avec le divin activerait le circuit neuronal de la récompense.
Il importe néanmoins de faire preuve de prudence quant aux conclusions tirées des études en neurosciences de la religion. Tout d’abord, plusieurs facteurs socioculturels peuvent influencer l’expérience religieuse. Une étude a par exemple montré que le fait de lire des citations provenant d’un non-croyant ou provenant d’un soi-disant croyant reconnu pour ses dons de guérisseur avait une influence différente sur l’activation de certaines régions cérébrales chez des croyants. La culture et les attentes des personnes venant participer à une étude IRM peuvent aussi fortement influencer les résultats observés. Mais pour l’instant peu d’études en neurosciences de la religion ont pu prendre tous ces facteurs en compte au sein d’une même étude. Il est également difficile de savoir si toutes les religions ont le même effet sur le cerveau puisque qu’aucune de ces études n’a comparé des individus de différentes fois au sein d’un même paradigme expérimental. Par ailleurs, les études en neuroimagerie sont extrêmement onéreuses et peu de neuroscientifiques ont comme thématique principale l’étude du sentiment religieux. Cette thématique de recherche n’en est donc qu’à ses prémisses et toute conclusion sur ce qu’il se passe dans le cerveau lorsque l’on croit doit être faite avec prudence. Vu que corps et esprit ne sont pas deux entités distinctes, trouver quelles sont les bases neurales du sentiment religieux est peut-être une quête insoluble.
Une seule chose est certaine : les résultats des études en neurosciences ne doivent pas servir d’argument pour valider ou invalider l’existence d’un Dieu. ♣♣♣
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