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Jean Faniel,
directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP)
Sortie de crise : les choix seront politiques !
La crise sanitaire a mis en évidence le nécessaire recours à l’État pour apporter des réponses et des aides aux personnes et aux entreprises en difficulté économique. La figure de l’État apparaît une fois de plus comme incontournable. Pour Jean Faniel, son rôle dans la sortie de crise sera déterminé par des choix idéologiques.
Salut & Fraternité : Quels sont les rôles de l’État en matière économique dans cette crise ?
Jean Faniel : L’État est souvent appelé à la rescousse, soit pour remplir des tâches qui ne peuvent pas l’être de manière suffisamment lucrative par le secteur privé, soit quand ce dernier ne parvient pas à faire face en cas de choc important, comme ce fut le cas lors de la crise bancaire de 2008 ou dans cette crise sanitaire. Il propose ici une aide grâce aux amortisseurs sociaux, comme le chômage temporaire – qui a pour but d’aider les personnes qui sont victimes du manque d’ouvrage lié au choc économique, mais qui permet également aux entreprises de ne pas perdre leur main-d’œuvre – ou le droit passerelle pour les indépendants. Le budget de ces aides sera mis à charge de la collectivité dans le cadre du financement de la sécurité sociale.
Cela illustre une dimension fondamentale de l’État : celle d’investir. Il investit constamment, même si ce n’est pas toujours visible. Or cette crise sanitaire montre que des investissements n’ont plus été réalisés. Les cotisations de sécurité sociale, par exemple, ont été réduites de manière linéaire pour permettre d’accroître ou de préserver la rentabilité de certaines entreprises. Par conséquent, des moyens ont été enlevés aux soins de santé, ce que, d’une certaine manière, nous payons peut-être aujourd’hui.
Ces dernières années circulait un discours comparant l’État à un ménage qui ne pouvait pas vivre au-dessus de ses moyens. Aujourd’hui, on s’aperçoit que ce n’est absolument pas le cas ! Un ménage, quand il n’y a plus d’argent, ne peut pas dire aux commerçants qu’il ne les paie pas ou qu’il divise leurs prix par deux pour pouvoir survivre, alors qu’un État est en mesure de suspendre provisoirement ou de répudier le remboursement d’une partie ou de la totalité de sa dette ou de jouer sur sa fiscalité. Même si ce n’est pas courant, de très nombreux exemples historiques montrent que c’est possible.
S&F : Quel pourrait être le rôle de l’État après la crise ?
J.F. : Nous nous trouvons à la jonction de différentes facettes de l’État, et les choix pour l’avenir seront éminemment politiques : s’agira-t-il de favoriser les acteurs privés ou d’investir dans les services publics ? Veut-on revenir à la situation d’avant la crise sanitaire ? Cette dernière option est promue par certains acteurs politiques. D’autres penchent pour tenter de faire évoluer l’État vers autre chose. La palette de possibilités est très large.
Le rôle de l’État dans le futur sera probablement central vu l’importance du choc subi, puisque de nombreux secteurs économiques auront besoin d’être soutenus par un acteur fort. Mais les secteurs soutenus, les modalités, la manière de les financer à brève et à plus longue échéance durant les années à venir dépendront des choix posés. Et ces décisions seront bien politiques puisqu’il s’agira de savoir où nous voulons aller, et aussi comment les citoyennes et citoyens y seront impliqués. Leur demande-t-on à nouveau leur avis via des élections anticipées ? Trouve-t-on d’autres mécanismes plus participatifs qui leur permettent d’être impliqués ? Ou reste-t-on simplement dans l’idée que la Chambre a été renouvelée il y a un an ?
Le rôle de l’État dans le futur sera probablement central vu l’importance du choc subi, puisque de nombreux secteurs économiques auront besoin d’être soutenus par un acteur fort. Mais les secteurs soutenus, les modalités, la manière de les financer à brève et à plus longue échéance durant les années à venir dépendront des choix posés.
S&F : L’État est-il un rempart dans la crise que nous vivons ? Y en a-t-il d’autres ?
J.F. : L’État est ce que l’on en fait, mais il n’est pas l’alpha et l’oméga ! Les citoyennes et citoyens ont aussi leur mot à dire et leur rôle à jouer, que ce soit pour orienter le cours de l’État et des politiques qu’il mettra en œuvre ou soutiendra, ou pour pallier ses manquements et intervenir là où il ne le fait pas. C’est aussi le rôle des acteurs économiques privés d’essayer de peser sur le cours des interventions des États. Au-delà du jeu politique, il existe une force de lobbying, qui n’a d’ailleurs jamais cessé pendant la crise sanitaire, pour tenter d’orienter les décisions de l’État ou pour s’y substituer.
Mais sans doute que, dans cette période de crise, l’État est davantage vu comme un recours, un acteur incontournable.
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