• Fanny Dubois
    Fanny Dubois
    secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales
Propos recueillis par Arnaud Leblanc

Pour des soins de santé au service du collectif

Forte d’une forma­tion d’aide médi­cale et d’un master en socio­lo­gie, Fanny Dubois a travaillé comme conseillère pour les ques­tions portant sur la Sécu­rité sociale et la santé publique en géné­ral. Depuis un an, elle est à la tête de la Fédé­ra­tion des maisons médi­cales comme secré­taire géné­rale. À l’heure de la crise sani­taire, elle nous éclaire sur la ques­tion du finan­ce­ment des secteurs liés à la santé. 

© Zach Vessels – unsplash​.org

Salut & Frater­nité : Comment vivez-vous l’épidémie au sein des maisons médicales ?

Fanny Dubois : La crise de la covid 19 et l’urgence sani­taire ont plongé le person­nel des maisons médi­cales et les acteurs de soins de santé dans un moment histo­rique intense et excep­tion­nel. Portées par leur orga­ni­sa­tion, les maisons médi­cales ont montré tout l’intérêt de leur modèle qui mêle des prin­cipes de préven­tion avec une prise en charge globale des patients. Elles sont venues en aide dans des secteurs plus vulné­rables comme les struc­tures d’aide aux sans-abris, les maisons de repos ou les centres pour personnes en situa­tion de handi­cap. Elles ont égale­ment permis de répondre aux besoins de promo­tion à la santé, à l’hygiène et aux gestes barrières mais aussi, par exemple, de tracing et de testing grâce à la poli­tique du forfait, à la rela­tion de confiance et à la respon­sa­bi­lité parta­gée entre les patients et le corps médical.

S&F : Quel est aujourd’hui le modèle domi­nant de soins de santé en Belgique ?

F.D. : Le système de santé a été construit à la fin des années 1940 jusqu’aux années 1970 sur un prin­cipe de soli­da­rité collec­tive incarné par le prin­cipe de sécu­rité sociale. Face aux risques de mala­dies, la société a le devoir, la respon­sa­bi­lité, de proté­ger ses citoyens. Ainsi, chacun contri­bue au pot commun selon ses moyens, les coti­sa­tions sociales et les impôts sont propor­tion­nels au revenu, et chacun reçoit une aide de la Sécu­rité sociale selon ses besoins.

Mais depuis les années 1980, la Sécu­rité sociale et les services publics sont, petit à petit, mis à mal. C’est une érosion progres­sive à coups de « mesu­rettes » poli­tiques. La santé est un secteur qui engendre des dépenses et des budgets impor­tants et, ces dernières années, on constate un défi­nan­ce­ment de l’assurance mala­die-inva­li­dité, un des piliers de la Sécu­rité sociale. Ainsi, quand on compare les pour­cen­tages de dépenses et de finan­ce­ment établis par le Bureau fédé­ral du Plan, on voit que son finan­ce­ment aujourd’hui n’est plus propor­tion­nel aux besoins enre­gis­trés. Donc forcé­ment, quand le finan­ce­ment ne répond plus aux besoins, ce sont les patients et les profes­sion­nels qui en pâtissent.

Autre mouve­ment d’érosion : à l’intérieur même du finan­ce­ment de l’assurance mala­die-inva­li­dité, on note une priva­ti­sa­tion et une marchan­di­sa­tion accrue. Par exemple, les labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques, vus comme rentables écono­mi­que­ment, sont passés en grande partie dans les mains du privé. D’autres secteurs para­mé­di­caux, comme les maisons de repos, connaissent égale­ment le même sort depuis plus de 10 ans. Résul­tats : les rentrées d’argent à l’intérieur des secteurs de soins de santé sont détour­nées au profit d’investisseurs privés et le bien-être des patients et des rési­dents n’est plus la priorité.

Il faut trou­ver des moyens de rendre leurs lettres de noblesse aux services publics et aux méca­nismes de soli­da­rité. (…) ce sont les poli­tiques de priva­ti­sa­tion et de marchan­di­sa­tion qui coûtent cher aux citoyens.

S&F : Ces dernières années, il y avait donc des volon­tés d’économies dans le secteur des soins de santé ?

F.D. : Au niveau des soins de santé en géné­ral, on estime qu’il y aura 9,3 milliards d’économie à l’horizon 2024 à la suite des poli­tiques mises en place lors de la dernière légis­la­ture. C’est le résul­tat de toute une série de mesures comme la suppres­sion de la dota­tion d’équilibre (un méca­nisme qui rééqui­libre les recettes en fonc­tion des besoins dont on estime les pertes à 2,1 milliards), le sous-finan­ce­ment à hauteur de 1,1 milliard dû aux réduc­tions des coti­sa­tions patro­nales comme les tax-shift ou celui dû aux avan­tages extra­lé­gaux accor­dés aux entre­prises (voitures de société, tickets-repas, etc., qui permettent aux entre­prises d’éluder les coti­sa­tions patro­nales). Cela fait des coupes impor­tantes au niveau financier.

J’ai bon espoir que la crise aura remis en lumière toute l’importance des services publics. L’État social et les services publics ont été fort stig­ma­ti­sés ces 30 dernières années. Certains les dépei­gnaient comme des struc­tures inef­fi­caces, bureau­cra­tiques, lentes. Ces repré­sen­ta­tions parti­ci­paient à alimen­ter le proces­sus de priva­ti­sa­tion. Il faut trou­ver des moyens de rendre leurs lettres de noblesse aux services publics et aux méca­nismes de soli­da­rité. En fait, ce sont les poli­tiques de priva­ti­sa­tion et de marchan­di­sa­tion qui coûtent cher aux citoyens.

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