- Nathalie Grandjean,
maîtresse de conférence à l’Université de Namur et féministe
Les oppressions patriarcales sous le prisme des écoféminismes
Nathalie Grandjean est maîtresse de conférences à l’Université de Namur et féministe. Ses recherches sont notamment orientées sur la philosophie féministe de genre. Elle a beaucoup étudié l’écoféminisme et sa militance.
Salut & Fraternité : Qu’est-ce que l’écoféminisme ?
Nathalie Grandjean : C’est une articulation entre les revendications écologistes, d’une part, et féministes d’autre part. C’est l’idée assez simple que le rapport que l’homme entretient à la nature est similaire à la domination que subissent les femmes de sa part.
De la même façon qu’il existe diverses formes de féminismes, il y a différents courants écoféministes. Le courant matérialiste est représenté par Sylvia Federici et son ouvrage Caliban et la sorcière, où elle montre la concomitance entre la naissance du capitalisme et la chasse aux sorcières en Europe aux XVIe et XVIIe siècles. Des femmes qualifiées ainsi parce qu’elles étaient émancipées ! Le mouvement philosophique (Karen Warren, Carolyn Merchant et Val Plumwood) montre que le rapport à la nature change avec l’avènement de la science moderne : elle devient un objet qu’il faut s’approprier et exploiter. Il s’agit là d’une critique de la raison qui, certes, a libéré l’être humain, mais l’a aussi enfermé dans une logique destructrice dans son rapport aux femmes, à l’environnement, à la nature, aux humains et non-humains.
Le courant spiritualiste, plus éclectique, est représenté par des militantes telles que Joana Macy, Carol P. Christ, Ynestra King ou Starhawk, qui cherchent à renouer spirituellement avec la nature, de manière à en revaloriser le caractère féminin, constamment exploité depuis l’émergence du capitalisme, de l’industrialisation et de la science moderne. Plutôt que de nier le féminin, il s’agit d’en faire l’instrument de libération de la puissance des femmes. Enfin, les écoféministes économico-politiques – Vandana Shiva, Maria Mies et Ariel Salleh – sont issues des pays en voie de développement où les femmes sont les premières victimes de l’exploitation des ressources naturelles. Elles dénoncent un système patriarcal fondé sur une triple exploitation : celle de la nature, des femmes et des peuples colonisés.

S&F : D’où vient l’écoféminisme ?
N.G. : C’est la française Françoise d’Eaubonne qui a créé le concept d’écoféminisme dans les années 1970. Elle forge son travail à partir d’une double posture constructiviste, qui fait la synthèse des travaux de Simone de Beauvoir et de Serge Moscovici : les femmes et les hommes sont tant des constructions sociales que le concept de nature.
Pour elle, le rapport de l’homme à la nature est plus que jamais celui de l’homme à la femme. Le saccage de la nature n’est pas imputable à l’ensemble de l’humanité, mais à la domination masculine hétéropatriarcale. Elle pointe deux conséquences écologiques de l’emprise sociale des hommes sur les femmes : la surproduction agricole et une sur-reproduction de l’espèce humaine. Elle en conclut que « les femmes n’ont pas eu le contrôle de leur propre corps ni des sols qu’elles voulaient cultiver ». D’ailleurs, de manière générale, les femmes ont très peu accès à la terre, tant dans l’exploitation que dans la propriété.
Françoise d’Eaubonne propose un appel au pacifisme, à la non-violence et dit qu’il ne faut pas simplement changer le monde mais faire en sorte qu’il y ait un monde. Ces propos résonnent très fort en regard des manifestations pour le climat de l’année dernière et le message des jeunes, et particulièrement des jeunes filles qui y étaient en tête !
S&F : L’écoféminisme est-il une nouvelle forme d’essentialisme ?
N.G. : Le féminisme essentialiste postule que les femmes pourraient se libérer en valorisant ce qui a trait à l’archétype féminin. Cette vision implique à la fois d’une part, de reconnaître que cet archétype féminin existe (beaucoup de critiques portent sur ce point) et d’autre part, d’inventer une nouvelle manière d’être femme, que les hommes ne domineraient pas.
La critique à l’égard des écoféministes essentialistes porte souvent sur une survalorisation de la maternité : allaitement à la demande jusqu’au sevrage naturel, choix de couches lavables, etc. Ces pratiques engendrent une logistique qui repose sur les épaules des femmes. Et qui, plutôt que de constituer un instrument collectif de libération tel que le féminisme le propose, leur rajoute une très forte charge mentale. Ce sont des pratiques qui sont vues comme écoféministes, mais qui sont simplement des choix de certaines femmes !
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