• Christine Mahy
    Christine Mahy
    Entretien avec Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP)
Propos recueillis par Gregory Pogorzelski

Créer des alliances, bousculer le politique

Chris­tine Mahy est prési­dente du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Forte de son expé­rience de terrain, elle fait le point avec nous sur le rôle du pouvoir poli­tique dans ces chan­ge­ments radi­caux qui se profilent.

Salut & Frater­nité : Face à l’effondrement possible de notre mode de vie occi­den­tal moderne, que peut faire le pouvoir politique ?

Chris­tine Mahy : Quand quelqu’un s’engage en poli­tique aujourd’hui, il doit savoir au service de qui il s’engage. Est-ce qu’exercer un mandat à respon­sa­bi­li­tés aujourd’hui engage bien à s’intéresser à la tota­lité des citoyens ou à gérer de la richesse et de la finance ? Une partie du problème, c’est la priva­ti­sa­tion de la gestion du patri­moine commun, qui a donné beau­coup de pouvoir autre­fois poli­tique au monde de la finance. Une piste serait de reprendre une partie de ce pouvoir, à travers leur fonc­tion publique et avec l’aide de la popu­la­tion, de redé­fi­nir ce pouvoir poli­tique. Pas un pouvoir popu­liste, facile, qui va céder aux peurs, mais comme quelque chose qui pousse à agir dans l’intérêt géné­ral. Cela serait un signal fort, une façon d’affirmer que le pouvoir poli­tique a bien comme moteur l’intérêt de la popu­la­tion – de toute la popu­la­tion – en matière de justice sociale, de répar­ti­tion des richesses, de gestion de l’environnement… Depuis des années égale­ment, des voix se lèvent contre cet effon­dre­ment : des acteurs de terrain qui tentent des initia­tives concrètes, des citoyens qui s’engagent, mais aussi le monde acadé­mique qui travaille à ces ques­tions, par exemple. La sphère poli­tique pour­rait porter ces voix, géné­ra­li­ser ces idées et ces projets qui donnent de bons résul­tats, permettre à toute la société d’en profiter.

Il faut prendre des initia­tives directes, mais aussi cher­cher les alliances dans tous les milieux. Ceux qui veulent que les choses bougent dans le bon sens ont des alliés qu’ils ne soup­çonnent pas.

S&F : Quels sont les freins qui empêchent le pouvoir poli­tique de prendre ces décisions ?

C.M. : Déjà, tous les élus ne partagent pas la même vision du monde. Certains n’ont pas l’ambition de régler ces problèmes, d’autres s'accommodent très bien de la finan­cia­ri­sa­tion et de la priva­ti­sa­tion du monde. La diffi­culté, c’est qu’on a mis le pied dans l’allégeance à la priva­ti­sa­tion, au déra­page vers l’enrichissement d’un petit nombre. Les méca­nismes du capi­ta­lisme font qu’aujourd’hui une propor­tion énorme du pouvoir, et pas seule­ment du pouvoir poli­tique, est du côté des plus riches, et prend des déci­sions qui les privi­lé­gient au détri­ment de tous les autres. Ensuite il y a comme un renon­ce­ment face au modèle capi­ta­liste. Comme si l’idée de chan­ger de modèle était impen­sable, que tout ce qui est possible c’est de l’aménager, de préve­nir ses excès : avec des banques alimen­taires, des écoles de devoirs, des maisons médi­cales… Mais sans toucher au fonde­ment du modèle, il conti­nue de produire ces inéga­li­tés en matière de revenu, d’emploi, de forma­tion, de santé, de consi­dé­ra­tion, de mobi­lité. Chan­ger de modèle n’est pas facile, certes, mais le premier pas pour réduire ces inéga­li­tés, c’est dépas­ser ce renon­ce­ment. Pouvoir penser que oui, aujourd’hui, les banques alimen­taires sont une néces­sité mais que des réformes sont possibles pour que dans trois, cinq, dix ans peut-être, tous les citoyens concer­nés puissent s’alimenter de façon saine, équi­li­brée et suffi­sante sans y faire appel. Le renon­ce­ment empêche ce genre de projets.

Des gens prêts à faire chan­ger les choses sont présents dans tous les secteurs. Il est temps de les rassem­bler. CC Flickr​.com – Center for alter­na­tive technologies

S&F : Comment pouvons-nous, citoyens, pous­ser le pouvoir poli­tique à dépas­ser ces freins ?

C.M. : Il faut prendre des initia­tives directes, mais aussi cher­cher les alliances dans tous les milieux. Ceux qui veulent que les choses bougent dans le bon sens ont des alliés qu’ils ne soup­çonnent pas. Vous trou­vez des gens qui veulent faire bouger les choses autant dans l’administration que dans l’associatif, le monde du travail ou l’éducation. Ces alliances sont impor­tantes : il nous faut des regards croi­sés, une vision qui repose sur des compé­tences multiples au service de la même idée, du même objec­tif de société. Ensuite, il faut parler au monde poli­tique, il faut le travailler, le ques­tion­ner, le bous­cu­ler, l’affronter. Il faut lui deman­der de se réveiller, de se moder­ni­ser, l’exiger s’il le faut ! Le pous­ser à porter, à finan­cer et à déve­lop­per des instru­ments de parti­ci­pa­tion, de réforme, de réduc­tion des inéga­li­tés. Bous­cu­ler le poli­tique, ça a l’air exces­sif, mais c’est s’autoriser à parti­ci­per au proces­sus démo­cra­tique tout au long des légis­la­tures : nous sommes allés voter, c’est une chose, mais utili­sons tous les moyens pour que les choses changent. Enfin, il faut abso­lu­ment dépas­ser ce senti­ment de renon­ce­ment, recom­men­cer à croire et à dire que l’on peut chan­ger les choses

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